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rain commun. Le roi devait donc convoquer les ducs, les comtes, les prélats, tous ceux enfin qui se trouvaient placés au même échelon que l’accusé dans la hiérarchie féodale. Il ne pouvait juger qu’au milieu d’eux et par eux. Il nous a été conservé une lettre qu’un comte de Chartres et de Champagne écrivait en l’an 1020 au roi Robert; elle marque bien les principes et les usages de cette époque. On y lit que, le roi ayant prétendu rendre arrêt lui-même contre le comte de Champagne, un des pairs de celui-ci, le duc de Normandie, a déclaré hautement qu’un tel arrêt n’avait aucune valeur. Nous avons aussi le texte de la formule de l’hommage qui fut prêté en 1225 par Thibaut de Champagne au roi de France, et nous y lisons cet article : « Le roi me fera le droit de sa cour suivant le jugement de ceux qui ont pouvoir et droit de me juger. » Ainsi les grands feudataires n’étaient pas jugés directement et personnellement par le roi; ils l’étaient sous ses yeux par leurs égaux, c’est-à-dire par ceux qu’on appelait leurs pairs de fief.

Prenons maintenant le cas où l’accusé était un seigneur du second rang, vassal non du roi, mais du duc de France. Ce n’était pas à titre de roi, mais à titre de duc, que le roi devait lui faire justice. Il convoquait donc, non les pairs du royaume, mais les pairs du duché. Nous lisons dans un arrêt de 1202 : « Une contestation s’est élevée entre nous et le vidame de Châlons au sujet du droit de régale; le vidame a demandé que nous fissions décider la querelle par serment d’hommes sages, clercs et laïques. En conséquence, nous lui avons assigné jour à Paris, et en même temps nous avons convoqué nos sages hommes (hommes est ici synonyme de vassaux), c’est-à-dire les évêques de Beauvais, de Paris et de Meaux, le comte de Beaumont, le comte de Ponthieu, Simon de Montfort, Guillaume des Barres, Guillaume de Garlande, etc.[1] » Il semblait que le roi jugeât en personne; l’arrêt se rendait toujours en son nom, et dans le langage officiel il n’était attribué qu’à lui seul; mais la présence de ces assistans était à tel point importante, que c’étaient eux qui signaient l’arrêt. Entre autres exemples qui attestent cet usage, on en a un de 1047.

Descendons encore au rang inférieur. L’homme qui est en cause n’est plus un baron, c’est un simple gentilhomme « tenant en fief. » Voici par exemple, dans un arrêt de l’an 1300, un certain Godefroy de Roye, qui est qualifié d’écuyer et qui « tient en fief » du comte de Vermandois. Ce comte de Vermandois n’est autre, à cette époque, que le roi de France lui-même; mais la qualité de comte et celle de roi ne se confondent pas; ce n’est pas au roi que l’écuyer

  1. Boutaric, Actes du parlement de Paris, t. Ier.