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s’adresse, c’est au comte. Il comparaît donc à la cour du comte de Vermandois. Or l’arrêt nous montre que cette cour, présidée par le représentant du comte, qui est le bailli royal de Saint-Quentin, est composée des «. hommes de fief, » c’est-à-dire des pairs et des égaux du gentilhomme qui est en cause[1]. Le recueil qui est connu sous le nom d’Etablissemens de saint Louis explique très clairement la règle qui devait être suivie dans tous les cas analogues. Si une plainte est portée contre le roi, y est-il dit, le roi ne peut pas refuser de faire droit; « ains doit commander à son baillif que il fasse semondre les gens des plus prochaines paroisses, et les prochains chevaliers et les prochains serjans fieffés, et les prochains barons, et si il est prouvé que ce soit la droiture du roy, elle lui remaindra, et tout ainsi à l’autre partie si la gent garantit que ce soit leur droiture. »

Le jugement par jury, ou, comme on disait alors, le jugement par pairs, était donc obligatoire pour toutes les catégories des gentilshommes. Il en était de même, à l’époque dont nous parlons ici, pour la classe des non-nobles. On peut lire dans presque toutes les chartes que les bourgeois ne devaient être jugés que par les bourgeois. Il est vrai que ces chartes réservent ordinairement au prévôt royal le jugement des crimes qui pouvaient entraîner la peine capitale; mais il faut bien entendre que ce prévôt ne jugeait pas seul. Les Etablissemens de saint Louis montrent en plus d’un endroit qu’il devait être assisté de jugeurs, et qu’il était tenu de les consulter avant de prononcer ses arrêts. L’ancienne coutume de Normandie, rédigée au temps où cette province était entrée dans le domaine royal, exigeait que tous juges royaux « ne jugeassent que par avis de l’assistance. » Le jurisconsulte Pierre de Fontaines mentionne aussi les jugeurs, et déclare que la sentence doit être rendue conformément à l’avis de la majorité[2]. Dans beaucoup de chartes du XIIe et du XIIIe siècle, nous lisons que le prévôt doit rendre la justice « avec les échevins. » Le prévôt de Paris prononçait ses jugemens dans le lieu qu’on appelait le parloir aux bourgeois, et l’on ne peut guère douter que plusieurs de ceux-ci ne lui servissent de jurés au XIIe siècle et au XIIIe.

Il ne faut pas nous représenter ces baillis et ces prévôts comme des magistrats d’aujourd’hui. Ils étaient des hommes d’épée et des administrateurs. Transformer ces hommes en juges omnipotens et les charger de prononcer seuls sur la vie et les biens des autres hommes eût été une sorte de monstruosité, et ne pouvait guère ve-

  1. Olim, t. II, p. 443.
  2. Le Conseil de Pierre de Fontaines, chap. XXI.