Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/56

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tage le droit de soutenir sa cause à main armée ; c’est à l’ambassadeur qu’il appartient de réclamer auprès du pouvoir central l’équitable réparation que refusent les autorités locales. N’est-ce pas ainsi que les affaires se traitent entre gens civilisés ? En agissant autrement, on doit craindre à chaque instant les excès de pouvoir de subalternes trop zélés, pour qui tout conflit est une occasion de se distinguer. — Le prince Kong avait d’autant plus raison de demander le retour aux voies diplomatiques, que les puissances alliées, lorsqu’elles avaient voulu obtenir en 1859 le droit d’entretenir des ambassadeurs à Pékin, n’avaient pas eu de meilleur argument que la nécessité de rendre le gouvernement impérial responsable des hostilités que toléraient les gouverneurs de province. Cependant il convient d’ajouter que les résidens étrangers préféraient de beaucoup l’ancien usage de représailles promptes et énergiques. Ils faisaient valoir que les mandarins étaient animés d’un esprit malveillant, que les communications étaient lentes, que le pouvoir central était mou et mal obéi, et qu’enfin, avec les gens de mauvaise foi auxquels on avait affaire, la répression n’est efficace qu’à la condition d’être immédiate.

Au surplus, les résidens étrangers insistaient en même temps auprès de leurs ambassadeurs pour que les traités de 1859 fussent révisés dans un sens favorable à leurs intérêts. Les missionnaires se plaignaient de n’être que tolérés dans les villes de l’intérieur, et souvent même d’en être éloignés par les mauvais traitemens. Les négocians voulaient avoir aussi la faculté de pénétrer dans les provinces, afin d’entrer en relations avec les producteurs sans la coûteuse entremise des courtiers indigènes ; ils s’élevaient avec force contre les taxes locales dont les marchandises étaient frappées aux frontières de chaque province, contre l’interdiction de naviguer sur les canaux et les rivières. Les Anglais, les Français et les Allemands prétendaient établir avec la Chine les relations par terre dont jouissaient les Russes de temps immémorial, et ne pas être confinés au littoral de la mer orientale et du golfe de Pé-tché-li.

Tandis que ces questions se discutaient, le gouvernement de Pékin prit la résolution d’envoyer une ambassade en Amérique et en Europe. Cette innovation semblait être au premier abord une concession aux idées du monde moderne, concession d’autant plus importante que la politique séculaire de la Chine avait été le refus d’entrer en rapports intimes avec les peuples lointains, qu’elle appelle des barbares. Aussi s’en vantait-on chez nous comme d’un succès diplomatique ; mais était-ce sérieux ? L’ambassadeur du Céleste-Empire était un Américain, M. Anson Burlingame, qui avait représenté les États-Unis à la cour de Pékin pendant plusieurs an-