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nées. Les uns croyaient que ce choix était une marque de déférence envers les étrangers; d’autres, plus subtils, supposaient, non sans raison, que le gouvernement chinois ne voulait pas compromettre dans une ambassade l’un de ses hauts dignitaires, et qu’il se réservait intérieurement le droit de désavouer cet étranger, auquel il pourrait toujours reprocher d’avoir mal compris ses instructions. M. Anson Burlingame était accompagné par deux mandarins dont les titres valent la peine d’être énumérés. Tché-kiang et Song-kia-kou étaient dignitaires du quatrième rang, décorés du bouton rouge, seconds plénipotentiaires et hauts fonctionnaires du département des relations extérieures. Ces qualifications pompeuses ne sont peut-être pas grand’chose en Chine. L’un était Tartare et l’autre Chinois, car c’est un principe du Céleste-Empire de conserver un certain équilibre dans les affaires importantes entre la race conquérante et la race conquise. En outre la mission comprenait un interprète français d’origine et un autre anglais, plus vingt officiers et secrétaires de divers grades, dont quelques jeunes bacheliers au teint jaune et aux yeux retroussés, qui devaient s’exercer en Europe à bien parler les langues française, anglaise et russe, après en avoir appris les rudimens au Tsong-li-yamen, c’est-à-dire au ministère des affaires étrangères de Pékin.

Partie de Pékin le 25 novembre 1867, l’ambassade faillit être arrêtée dès le début par un malencontreux événement. Une bande de trois cents cavaliers rebelles tenait la campagne entre la capitale et Tien-tsin. Grâce à la protection d’une canonnière anglaise qui se trouvait alors dans le Peï-ho, M. Burlingame parvint sans encombre jusqu’à Takou, d’où un steamer américain le conduisit à Shang-haï. Cinq mois après, il arrivait à New-York, qui devait être sa première résidence. L’accueil flatteur qu’on lui fit était de nature à l’encourager. Ignorant en général des habitudes de bonne confraternité qui unissent tous les étrangers de race blanche dans l’extrême Orient, le public de New-York se plaisait à croire qu’Anglais et Américains sont rivaux dans les mers de la Chine aussi bien que dans l’Atlantique, et que le choix d’un concitoyen pour cette mission insolite dénotait de la part de l’empereur autant de confiance pour la république américaine que de dédain pour la Grande-Bretagne. Il est bien certain que le gouvernement impérial n’y avait même pas songé. Toutefois il est également vrai qu’en Amérique plus qu’ailleurs l’ambassadeur de la race mongole avait matière à déployer ses talens. La Californie est si loin de l’Europe, que les émigrans de race blanche n’y arrivent qu’en petit nombre, quelque favorables que leur soient le sol et le climat. Au contraire, les émigrans chinois y pullulent : on en comptait déjà 60,000 à cette épo-