Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/569

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de bois. Il y a des bataillons entiers qui, tenus en réserve dans un pli de terrain, n’ont vu que de la fumée et entendu que du bruit. C’est pourquoi un caporal a pu me dire en toute vérité et avec l’accent de la conviction : — La bataille de Wissembourg, où j’étais, c’est un champ de betteraves autour duquel on s’est beaucoup battu... A six heures, il a fallu l’abandonner... Un de mes hommes y a perdu son sac. — Il n’y a que le général en chef qui puisse dire comment les choses se sont passées, et encore seulement après que les rapports des chefs de corps lui sont arrivés.

J’obtenais quelquefois, mais rarement et non sans peine, une permission pour venir voir mes parens. Paris avait un aspect tranquille. Si on n’avait pas entendu une furieuse canonnade, on aurait pu croire que rien d’extraordinaire ne s’y passait. Il fallait parfois faire un effort de mémoire pour se rappeler que trois ou quatre cent mille Prussiens campaient aux environs. On croyait à la victoire. Je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir moins de confiance : j’avais vu Sedan. Je ne faisais part de mes appréhensions qu’à un petit nombre d’amis particuliers. En dehors de leur cercle intime, on m’eût pris pour un fou ou pour un agent de M. de Bismarck. On était encore dans la période de l’enthousiasme joyeux. Paris, avec sa ceinture de forts, paraissait une ville inexpugnable. Le moyen qu’une armée de quatre cent mille hommes fût forcée dans ses retranchemens, et la Prusse, malgré la landwehr et le landsturm, empêcherait-elle la province soulevée de donner la main à Paris? Les orateurs ne manquaient pas pour développer ce thème, qui renfermait en germe l’espoir d’un triomphe éclatant. Chaque restaurant possédait un groupe de ces stratégistes qui prenaient des redoutes et brisaient des lignes entre un beefsteak de cheval et une mince tranche de fromage. Les Prussiens repoussés et le café pris, on était fort gai.

Après la malheureuse affaire du Bourget, vers le 15 ou 20 novembre, le 4e zouaves reçut dans ses cadres un certain nombre de zouaves et de chasseurs de l’ex-garde qui étaient en dépôt à Saint-Denis : ils furent répartis dans les 1er et 2e bataillons; quant au 3e on en compléta l’effectif par une compagnie de turcos, dont la plupart étaient nés en France et plus spécialement à Paris. Cependant, parmi ces recrues, on comptait à peu près une cinquantaine de véritables Africains, Arabes ou Kabyles, rompus au métier des armes, et qui avaient vu les batailles de l’est. Désormais il n’y eut plus dans la ville assiégée d’autres zouaves que ceux du 4e régiment.

Dans les derniers jours du mois de novembre, un frémissement parcourut nos bataillons. Des bruits circulaient qui nous faisaient croire qu’on allait se battre. D’où venaient-ils? Ou n’avait aucun renseignement officiel, et on sentait qu’ils ne mentaient pas. Ceux qui comptaient le plus sur la bataille faisaient semblant de n’y pas