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travail surtout. Il marqua cette nuit la fin de notre expédition.

Ces promenades aventureuses se renouvelaient trois fois par semaine à peu près. On n’était prévenu du départ qu’au moment de prendre les armes. Le péril était l’assaisonnement de ces expéditions ; il n’était déplaisant que lorsqu’une négligence en était la cause, et je dois ajouter tristement que les balles prussiennes n’étaient pas toujours les seules qu’on eût à craindre. Il arrivait quelquefois que l’officier de grand’garde, enveloppé de sa couverture, confiait la surveillance de ses hommes au sergent-major ; celui-ci, qu’un tel exemple encourageait, passait la consigne au caporal, qui s’en déchargeait sur un soldat, et de chute en chute la garde du campement incombait à une sentinelle qui s’endormait. Quant à nos ennemis, ils ne se laissaient jamais prendre en flagrant délit de négligence. Point de lacune dans leur discipline ; ils reculaient souvent devant nos attaques, mais jamais ils n’étaient surpris.

On pouvait constater chaque jour le rétrécissement du cercle meurtrier tracé par leurs obus. Le campement où l’on était presque à l’abri la veille recevait de telles visites le lendemain, qu’il fallait prendre gîte ailleurs. C’était le métier du soldat, et aucun de nous ne songeait à s’en plaindre ; mais les pauvres habitans qui gardaient leurs toits jusqu’à la dernière heure gémissaient et ne se décidaient à déménager que lorsque quelques-uns d’entre eux avaient arrosé de leur sang leurs foyers menacés. Quel tumulte un matin et quel désespoir à Montreuil ! Pendant la nuit, les obus prussiens, passant par-dessus les forts, étaient tombés jusque sur la place du village. Le jour ne sembla que donner plus de certitude et plus de rapidité à leur vol. Il fallut en toute hâte enlever les meubles les plus précieux, atteler les charrettes, fermer les portes et abandonner ces espaliers cultivés avec tant d’amour. Les malheureux émigrans ne se crurent en sûreté qu’à l’ombre du donjon de Vincennes.

Quelque temps après, au moment où le sommeil engourdissait les francs-tireurs de la compagnie, à dix heures du soir, un appel me fit sauter sur mes jambes. Ordre était donné de prendre les armes. Le chassepot sur l’épaule, la cartouchière au flanc, le sabre-baïonnette passé dans la ceinture pour éviter le cliquetis métallique du fourreau, sans sacs, nous marchions lestement. Je me glissai du côté du capitaine, et j’appris que la compagnie avait pour mission de pousser jusqu’à Villemonble par la droite du plateau d’Avron et de rabattre par le versant gauche. Tout en filant vers Rosny en belle humeur, nous regardions les obus qui coupaient la route à intervalles inégaux, tantôt en avant, tantôt en arrière. Les grand’gardes traversées, la compagnie, soutenue par des francs-tireurs du Morbihan, si brillamment conduits par M. G. de C…, aborda le plateau. Le capitaine alors me confia huit hommes avec ordre de les épar-