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met plus que la couronne puisse tenir le parlement en échec; celui-ci est désormais le maître suprême. En 89, la France a fait une révolution pour ne pas accorder le veto au roi. Le veto remplissait d’épouvante tous les amis de la liberté, — craintes sans fondement. Les constitutions contemporaines accordent le veto au souverain ; mais c’est une arme d’apparat, il ne peut plus en faire usage. Ainsi donc, adversaires du despotisme, voulez-vous que le pouvoir exécutif soit inerte et faible, remettez-le aux mains d’un monarque constitutionnel. Il aura une tout autre énergie entre celles d’un chef élu, parce que celui-ci, fùt-il nommé pour peu de temps ou même révocable, jouit, pendant qu’il tient le pouvoir, de toute l’autorité que lui donnent une volonté ferme, l’habitude de la lutte et les passions du parti qu’il représente, — et cette autorité, il l’emploiera, tandis que le roi ne se servira même pas de toute celle qu’il tient de la constitution ou du prestige de la couronne. En un mot, dans nos sociétés actuelles, le pouvoir exécutif sera débile, s’il est héréditaire, — fort, s’il est électif.

Toutes choses égales d’ailleurs[1], les grandes affaires seront mieux conduites dans une monarchie constitutionnelle que dans une république avec un président directement élu par la peuple, comme aux États-Unis. En voici les raisons. Dans la monarchie constitutionnelle, celui qui conduit les affaires ce n’est pas le souverain, c’est le chef du cabinet. Or ce premier ministre est nécessairement un homme éminent : il émane d’une élection à deux degrés; il est le plus capable d’une majorité de représentans qui sont eux-mêmes choisis par la majorité des électeurs. Le chef du cabinet sort, pour ainsi dire, d’une double sublimation de capacité politique. Il a dû conquérir sa place à force de talent, de prévoyance, d’esprit de conduite et d’éloquence; il ne la garde que s’il réussit. Un échec sérieux le précipite du pouvoir. Il est donc obligé d’être à la fois sage dans ses conceptions et heureux dans ses entreprises. Les rois absolus mettent parfois la direction de l’état entre les mains de ministres supérieurs à ceux du régime parlementaire, parce que ces ministres ne sont pas tenus à être orateurs, et qu’on peut être un très grand homme d’état sans avoir le don de la parole; mais aussi le choix du souverain absolu est souvent dicté par

  1. Cette formule devrait précéder toute affirmation en politique et on économie politique, car sans cette réserve il n’est point de principe qui soit rigoureusement exact. Ainsi je crois que les États-Unis ont déployé plus de sagesse dans leur conduite que l’Angleterre. Ils ont montré plus de respect pour le droit, plus d’horreur pour la guerre, plus de modération dans leurs relations extérieures, beaucoup plus de lumières dans leur administration intérieure; mais cela vient de ce que les fondateurs de l’Union lui avaient donné des sentimens de moralité, de religion, d’égalité, de saine démocratie, que l’Angleterre ne possédait pas au même degré.