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ministre qui gouverne, et tout marche comme dans une république; mais si le souverain s’intéresse aux affaires et veut y intervenir, s’il a des visées, des plans, une politique qu’il veut imposer, alors il lui faut une habileté tout à fait exceptionnelle pour réussir comme Léopold Ier et ne pas tomber comme Louis-Philippe.

Le rôle d’un roi constitutionnel n’est point du tout cette sinécure grassement rétribuée, mais humiliante, que Napoléon refusait, on sait en quels termes, des mains de Sieyès. M. Bagehot, dans son livre sur la constitution anglaise, analyse avec une merveilleuse finesse tous les services que l’on peut attendre de cette haute fonction; il en fait aussi voir toutes les difficultés, bien plus grandes encore sur le continent qu’en Angleterre. Si le souverain a une politique personnelle, il s’efforcera de la faire prévaloir. Il n’osera peut-être pas se mettre en lutte ouverte avec la représentation nationale, mais, usant des énormes moyens d’influence dont le pouvoir exécutif dispose, il fera tout pour que cette représentation soit composée au gré de ses désirs et pour qu’elle y cède. à essaiera d’étendre son pouvoir, et une lutte sourde, mais pleine de périls, s’établira entre le monarque et la partie la plus ardente du pays. Comme il pourra se débarrasser des chambres grâce à l’armée, le régime parlementaire n’existera que par tolérance : toujours il sera à la merci d’un coup d’état. En Angleterre, ce régime a de si profondes racines, la liberté est si bien défendue, la légalité si respectée, que l’armée ne marcherait pas contre le parlement. Sur le continent, la situation est en tout point l’inverse de celle-là, et elle l’est en France plus que partout ailleurs. Un écrivain qui a vraiment approfondi tous les problèmes de la science politique signale ainsi ce danger dans une brochure récente. « Un petit prince allemand, dit M. Dupont-White, échappé du Hanovre, s’il passe roi en Angleterre, y deviendra à la longue un simple spectateur du gouvernement, un compteur des partis, bref un roi constitutionnel : cette fortune est échue à nos voisins; mais demandez donc cela en France au prince qui restaure une dynastie, quand il porte un nom lié à toutes les grandeurs de notre histoire, quand il peut, outre les tombeaux de Saint-Denis, nommer quarante de ses aïeux tombés à la bataille, enfin quand avec tout cela il vient d’être adopté et acclamé par la nation ! Comment cette dynastie renaissante abdiquerait-elle la force du peuple dont elle procède, et la force, le sacrement de ses traditions? Comment n’aurait-elle pas le sentiment très vif de ces origines, avec abus prochain et imminent? Être un tel élu et un tel prince, c’est trop de la moitié pour l’avenir de la liberté française. » La monarchie constitutionnelle est peut-être le meilleur des gouvernemens; mais dans certains pays elle offre de telles tentations aux envahissemens du pouvoir per-