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sonnel, de si nombreuses occasions de conflit entre le pouvoir et le peuple, que c’en est aussi le plus fragile; elle aboutit presque inévitablement à un coup d’état ou à une révolution. Si Louis-Philippe, l’un des meilleurs rois et des plus éclairés qui aient jamais régné, n’a pu acclimater en France cette forme de gouvernement, qui peut espérer être plus habile ou plus heureux que lui?

Autre avantage encore de la république, c’est qu’elle peut devenir un gouvernement accepté par tous. Que les conservateurs s’y rallient, elle aura pour elle l’unanimité, chose difficile, mais possible, et déjà à moitié faite. Toute monarchie aura au contraire contre elle les républicains, et l’on ne pourra jamais faire que les républicains ne soient pas en France un parti puissant et redoutable, agissant tandis que les conservateurs dorment, et suppléant au nombre qui leur manque par l’audace de leurs entreprises et la persévérance de leur propagande. Bien des motifs font qu’il y aura toujours beaucoup de républicains en France. D’abord on élève la jeunesse dans l’admiration des républiques de Rome et d’Athènes et de la révolution française. En outre la royauté rappelle l’ancien régime avec tous ses abus, détestés jusqu’au fond des campagnes. Ailleurs, en Prusse par exemple, la royauté a parfaitement administré le pays : elle lui a fait des écoles, des universités, ouvert des routes, fondé des haras, drainé des marais, perfectionné l’agriculture; elle a formé la nation, puis elle l’a civilisée. En France, quoi qu’en dise le comte de Chambord, la royauté a ruiné le trésor, dépeuplé les campagnes, corrompu les mœurs, sacrifié les intérêts ruraux aux splendeurs empestées de la cour, détruit les libertés provinciales et communales, tué la vie locale, brisé toute initiative individuelle et toute indépendance de caractère; en un mot, elle a préparé le pays au despotisme sanglant de la terreur, au despotisme militaire de l’empire et à tous ses malheurs subséquens, parce qu’elle l’a rendu impropre à se gouverner lui-même. La monarchie s’est écroulée si souvent depuis la fin du siècle dernier, qu’elle a perdu son prestige. Ce qui est plus grave, nul ne croit plus à sa durée. Elle ne semble donc plus offrir, même aux yeux de ses partisans, cette garantie de stabilité qui est son principal mérite. Enfin on pense généralement que les progrès de la démocratie doivent amener partout la république, et la prospérité inouïe de l’Union américaine fait espérer que l’Europe aurait le même sort, si elle adoptait les mêmes institutions. Il se trouve ainsi que la monarchie en France a des partisans tièdes, divisés, découragés, et des adversaires ardens, convaincus et entreprenans. Comment pourrait-elle durer dans de telles conditions?

Il est une vérité démontrée par des faits récens, qu’il ne faudrait jamais perdre de vue, c’est qu’une nation déchirée par de profondes