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réfléchi avouera que ce n’est pas la peine de se battre pour avoir l’une plutôt que l’autre. Cependant, si cette question est soulevée par la chute du trône, toute l’attention s’y portera. Les partis lutteront sur ce point. Des efforts énormes seront consacrés pour amener le triomphe de l’une ou de l’autre de ces formes de gouvernement, et cette lutte est stérile, car l’enjeu ne vaut pas les sacrifices qu’il nécessite. Pendant ce temps, rien ne sera fait pour les questions économiques, pour l’enseignement, pour la diffusion des lumières et du bien-être, ce qui est pourtant la chose principale. Organisez l’instruction primaire comme aux États-Unis, consacrez-y des centaines de millions, et vous aurez fait mille fois plus pour à triomphe définitif de la liberté démocratique qu’en proclamant la république. Quand la forme du gouvernement est hors de cause, ce sont des réformes sociales que l’on accomplit, et ainsi le peuple s’avance peu à peu, mais sûrement, vers une plus grande égalité.

Le renversement du trône de Louis XVI a été un immense malheur pour la France. Si les Français avaient conservé leur antique royauté, ils l’auraient dépouillée sans peine de toutes ses prérogatives nuisibles, car elle manquait de tout point d’appui solide. La nation se serait bientôt gouvernée complètement elle-même; elle aurait établi ses libertés provinciales, elle aurait réalisé le magnifique programme humanitaire formulé par le XVIIIe siècle, et qui déjà dans toute l’Europe était en voie d’exécution. Elle aurait échappé ainsi à cette triste période de l’empire qui lui a fait oublier la liberté pour la gloire des armes, et qui a provoqué l’inimitié de l’Europe contre un pays que le genre humain adorait en 1789. Aujourd’hui probablement la France serait aussi en république, mais elle y aurait abordé, mûrie par une longue préparation, au lieu d’y être jetée par la tempête, comme sur un radeau que chaque lame menace d’engloutir. Les pays qui, comme l’Italie, ont une dynastie nationale respectée, aimée par tous, feront sagement de la conserver et d’appliquer leurs forces au développement de la richesse et de l’instruction, ce qui est la chose essentielle; mais la France ne pourrait rétablir la dynastie ancienne sans se déchirer de ses propres mains et sans se vouer à une irrémédiable infériorité vis-à-vis des autres peuples. La légitimité est comme l’honneur, « on n’y rentre plus quand on en est dehors. »

Si les conservateurs acceptaient la république, elle pourrait accorder une liberté plus grande que la monarchie. En voici la raison. Plus un gouvernement est attaqué, plus il aura recours aux moyens de compression. La forme, le nom, n’y font rien : violemment contesté, il sera despotique, ou du moins il emploiera les armes du despotisme; la convention l’a bien prouvé. Si au contraire son existence n’est pas mise en péril, il pourra permettre