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terrible épidémie qui a donné un si cruel démenti à la renommée de salubrité de ce pays n’était pas la fièvre jaune, mais un mal tout particulier, causé par les émanations du sol. A Buenos-Ayres on n’a point d’égouts; le sol s’y imprègne directement de toutes les déjections qui représentent les résidus de la vie organique et de la vie sociale. Cette incurie séculaire a fini par se venger : on a semé la pourriture, on récolte la fièvre.

C’est l’occasion de rappeler des recherches fort importantes qui ont contribué à mettre en lumière le rôle que le sous-sol joue dans la production des épidémies et des maladies endémiques. Il est une contrée où cette influence a pu être étudiée d’une manière très complète, dans des conditions qui se sont considérablement modifiées avec le temps : c’est la région des Landes de Gascogne, Le sable de la Lande ressemble à celui du littoral de la mer, il est blanc, mêlé de quelques grains noirs dans lesquels on rencontre le peroxyde de fer et l’oxyde de manganèse. Les eaux du ciel l’ont lavé pendant des siècles, de sorte qu’il ne renferme plus rien d’immédiatement soluble; mais à la profondeur moyenne de 1 mètre au-dessous de la surface on trouve intercalée dans l’épaisseur de ce sable une couche pierreuse, compacte, imperméable, qui est un réservoir de matières organiques. Cette espèce de tuf, d’un brun-rouge foncé, appelé alios[1], ne se rencontre que dans les landes proprement dites, il n’existe ni dans les marais, ni sur les rives des étangs, ni dans les dunes, même celles qui sont couvertes de broussailles et ombragées de forêts séculaires. L’alios ne cède qu’à la pioche, mais il est d’une consistance assez variable suivant les régions où on le prend; en quelques endroits il se délite à l’air en se desséchant, ailleurs il est assez dur pour être employé comme pierre à bâtir. Quant à la composition chimique de cette assise inférieure, c’est du sable agglutiné par un ciment rouge de nature organique qui doit sa couleur à une faible proportion d’oxyde de fer hydraté.

M. Fauré, de Bordeaux, qui a beaucoup étudié le tuf des Landes, a reconnu dès 1847 que la matière à laquelle est due l’adhérence des molécules siliceuses est un sédiment végétal abandonné par les eaux qui pénètrent dans le sol. Cette matière, en se solidifiant, a formé un réseau imperméable qui retient les eaux pluviales à une faible profondeur au-dessous de la surface; elles y croupissent, se chargent des principes solubles de l’alios, ainsi que des produits de la décomposition des végétaux qu’elles baignent, et vont empoisonner les puisards d’où la population landaise tire l’eau pour ses usages domestiques. Les eaux du sous-sol des Landes, examinées par M. Fauré, étaient pauvres en sels minéraux; en revanche, elles renfermaient des matières organiques en proportion vrai-

  1. Serait-ce le mot espagnol aliox (marbre)?