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à plus d’un titre, être revendiquée par l’empire comme l’œuvre de son initiative et de sa sollicitude. C’est dans les cinq ou six premières années du règne que se sont accomplies les réformes qui ont constitué la marine d’aujourd’hui. J’essaierai d’exposer brièvement ce travail d’une administration à laquelle on n’a peut-être pas rendu assez complètement justice ; l’examen que j’en ferai me conduira naturellement à envisager la situation présente.

Il était généralement admis que l’empire sacrifiait la marine à l’armée, qu’il tenait cet intérêt comme secondaire et ne lui accordait qu’une attention distraite. La vérité eût plutôt été dans l’affirmation contraire. Je ne sais si l’armée française a beaucoup gagné depuis la campagne de Crimée, mais je puis affirmer que, de 1852 à 1870, la marine avait pris en France un développement qu’on eût pu, sous bien des rapports, trouver excessif. Nos arsenaux avaient triplé d’étendue, nos ateliers étaient des monumens que nous aurait enviés le siècle du grand roi. Notre flotte, presque l’égale de celle de l’Angleterre, avait laissé en arrière toutes les autres. Malheureusement ces richesses sont promptes à dépérir, et il faudra sagement administrer notre fortune pour que quelques années n’en fassent pas des ruines.

J’ai entendu un illustre maréchal comparer la marine française à un météore. Plus d’une fois en effet cette marine s’est éteinte au moment même où elle venait de briller du plus vif éclat. C’est qu’elle a toujours été la première à souffrir du désarroi financier ; un semblable danger la menace encore. Pour conjurer ce péril, il ne suffit pas d’implorer d’irréalisables augmentations de crédits ; il faut avant tout fermer les issues par lesquelles s’épancherait, sans profit direct pour la flotte, le budget restreint qui va nous être alloué. Il importe donc de bien définir ce qui, dans notre organisation, est vital et ce qui n’est qu’accessoire. Il faut plonger nos regards au-dessous de la surface et aller chercher dans la marine qui nous a été léguée les bases fondamentales, ce que j’appellerai les institutions nécessaires. Voilà ce qu’il faut reconnaître, voilà ce qu’il faut sauver.

Après la conclusion de la paix de Paris, l’occasion était unique pour entreprendre une organisation nouvelle et définitive de la marine française. L’état des finances permettait d’établir le budget des dépenses navales sur une base assez large pour satisfaire une ambition contenue dans de justes limites. Cette ambition ne devait pas aller jusqu’à prétendre au premier rang, mais elle devait se proposer d’occuper incontestablement le second. Ce n’est qu’en réglant ses désirs qu’on parvient à fonder quelque chose de durable. Un établissement exagéré ne résiste pas aux premiers embarras qui