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caniciens et d’hommes de pont réputé nécessaire. Je ne saurais approuver complètement un système contre lequel j’ai fait connaître mes objections ; mais ce qu’on ne peut nier, c’est qu’avec ces trois institutions, — la flotte de réserve, les dépôts de spécialités, l’inscription maritime, — l’empire avait résolu, dans les conditions les plus complètes et en même temps les plus économiques, le problème de la prompte mobilisation. Aussi n’a-t-il jamais fait en vain appel à sa marine. De 1858 à 1870, il l’a mainte fois prise à l’improviste, tantôt lui demandant de transporter des armées de 25,000 à 30,000 hommes au-delà des mers, tantôt lui prescrivant de mettre en quelques jours toutes ses ressources sur pied. La rapidité avec laquelle ces ordres ont été exécutés a frappé d’étonnement les nation étrangères. De toutes les forces vitales du pays, la marine est peut-être celle qui, en toute occasion, a le moins trompé notre attente ; il ne faut pas oublier, il est vrai, que nous n’avons pas eu à soutenir une guerre maritime. Et pourtant, si la France tient à garder son rang dans le monde, si elle veut faire un jour rechercher son alliance, C’est toujours cette épreuve décisive qu’elle doit avoir en vue, c’est pour se mettre en mesure d’en sortir avec avantage qu’il lui faut arrêter la constitution de sa flotte.


IV.

À quoi peut servir une marine ? C’est la première question qu’un budget, et surtout un budget dans l’embarras, doit se poser. Je réponds sans hésiter : à occuper les grandes voies maritimes. L’occupation de la mer, ne fùt-elle que temporaire, doit avoir, même dans une guerre continentale, des conséquences de la plus haute portée. C’est par là que les états du nord en Amérique ont triomphé de la résistance des états du sud ; c’est par là qu’en Europe l’Angleterre a fini par user le premier empire ; c’est par là qu’en Crimée nous avons vaincu la Russie. On a beaucoup exagéré le dommage causé au commerce américain par quelques corsaires ; on a fait un bruit ridicule de la capture d’un navire de commerce français par une corvette allemande s’échappant, au cœur de l’hiver, d’un port inaccessible qui n’était plus bloqué. La suprématie ; navale la mieux établie ne saurait prévenir complètement ces déprédations. Sur mer aussi bien que sur terre, une armée victorieuse n’a pas de convois qui ne puissent être inquiétés ; mais quels résultats peuvent avoir de pareils coups d’épingle ? S’imagine-t-on que les prouesses de vingt Alabanais auraient pu retarder d’un jour la prise de Richmond ? Si c’est sûr de tels souvenirs qu’on s’appuie pour nous recommander la guerre de course et pour réclamer le licenciement