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déploya dans cette fondation, comme pour faire oublier aux Byzantins ses premières rigueurs, une telle magnificence que cet hippodrome, destiné à une petite cité de la Thrace, ne se trouva pas indigne de Constantinople quand elle fut devenue l’héritière de l’empire romain, la capitale du monde civilisé et la Rome de l’Orient. On peut dire aussi de Septime-Sévère que déjà il commençait à bâtir la ville éternelle. Comme il ne pouvait trouver une surface plane assez vaste pour y établir son hippodrome, il créa un sol factice ; là où le terrain s’abaissait en un escarpement, il éleva des piliers, arrondit des voûtes immenses ; dans la nuit de ces souterrains s’étendirent les eaux glacées de la Citerne froide. Au-dessus, comme les jardins suspendus de Sémiramis, l’hippodrome développait sa vaste plaine de sable, son arène de 370 mètres de longueur ; les prodigieux amphithéâtres de trente ou quarante gradins, les portiques, les obélisques de granit, surchargeaient, sans les fatiguer, les voûtes indestructibles.

Les bâtimens situés à l’extrémité rectiligne de l’hippodrome comprenaient à la fois les mangana ou carceres et la tribune impériale. Les mangana étaient des espèces de loges, de vestibules, où, en attendant le signal du départ, les cochers debout sur leurs chars, le fouet entre les dents, retenaient à grand’peine de leurs rênes tendues leurs quatre coursiers à la bouche écumante. Ces loges étaient fermées par des barrières ou par des portes grillées qu’un gardien ouvrait au signal convenu, et qui étaient ornées de statues ou de cariatides. Quant à la tribune impériale, elle formait tout un palais, se rattachant au grand palais impérial et compris dans son enceinte. On sait en effet que le grand palais impérial, espèce de Kremlin byzantin, amas d’églises et de palais, était en même temps une forteresse ; les murailles crénelées en laissaient apercevoir au loin non-seulement les dômes dorés, les coupoles étincelantes de quinze ou vingt sanctuaires, non-seulement les jets d’eau retombant dans les bassins de marbre, les arbres des parcs et de voluptueux bosquets, mais aussi les tours massives où les varangiens aux cuirasses dorées montent la garde avec leur double hache sur l’épaule. Un souverain qui se gardait si bien dans son sérail ne pouvait guère se hasarder sans précautions au milieu de son peuple, surtout dans ces bruyantes solennités de l’hippodrome où un tumulte dégénérait si facilement en émeute. Aussi l’empereur s’était-il arrangé pour assister aux jeux sans sortir de chez lui ; de son triclinium d’or, aux parquets de mosaïques, aux murailles couvertes des images de saints et des portraits de ses ancêtres en émail sur fond d’or, « l’autocratôr des Romains, » par une série de jardins réservés, de cours intérieures dallées de marbre, de galeries, d’escaliers « en escargot, » se rendait à son palais de la tribune, à son