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naient, un bâton à la main, les cursores, sortes de tchaous ou de policemen chargés de contenir les spectateurs. En haut des gradins régnait un vaste promenoir orné de portiques sous lesquels se dressait un peuple de statues ; c’était là que les oisifs ou les curieux de Byzance allaient, en attendant les jeux, jouir de l’aspect de l’hippodrome dans son ensemble ou du panorama de la capitale. Il faut ajouter que tout un côté de l’hippodrome, avec ses degrés, son promenoir, ses portiques et ses statues, appartenait exclusivement aux bleus, tandis que leurs adversaires allaient s’asseoir ou se promener sur le côté opposé.

Reportons maintenant nos regards sur le centre de l’hippodrome, sur cette spina autour de laquelle doivent courir les quadriges. À chaque extrémité de cette plate-forme se trouvait une borne composée de trois colonnes ou de trois cônes réunis ; chacune d’elles formait une sorte de promontoire ou de cap. Il fallait pour le doubler la plus grande dextérité de la part du cocher, les « naufrages » étaient fréquens, et ce n’était pas une vaine précaution qui avait placé près de l’une de ces bornes un bassin de marbre dont l’eau devait aider à rappeler à la vie plus d’un cocher étourdi ou meurtri de sa chute. La borne la plus rapprochée de la tribune impériale s’appelait la meta des bleus ; l’autre était celle des verts. Chacune des factions avait installé auprès de sa borne un orgue d’argent qui servait à accompagner ses chants ou ses acclamations.

Au centre même du cirque, au milieu de la spina, s’élevait et s’élève encore un obélisque de granit, que Théodose le Grand avait fait amener de la Haute-Egypte pour embellir sa capitale. Sur la base étaient sculptés des bas-reliefs byzantins. Les uns représentaient l’empereur assis sur son trône, présidant aux courses de l’hippodrome ou rendant la justice ; les autres expliquaient, comme les dessins gravés sur le piédestal de notre obélisque de Luqsor, par quels procédés l’énorme aiguille de granit avait été amenée du désert, chargée sur les vaisseaux romains, érigée sur la spina : ici on voyait des ouvriers occupés à faire tourner un cabestan, là-bas une grue gigantesque semblait gémir sous le poids du monument qu’elle était chargée de soulever de terre ; mais ce qui intriguait le plus les Byzantins, c’étaient ces hiéroglyphes gravés dans le granit, ces bizarres figures de divinités animales et de signes sidéraux. Absolument incapables de les déchiffrer, ils avaient fini par y voir des caractères cabalistiques, et d’impudens magiciens y lisaient couramment les plus étranges prédictions. Au sud et sur la même ligne que l’obélisque d’Egypte, on voyait une sorte de pyramide ou d’obélisque en maçonnerie. Cet obélisque était autrefois revêtu de plaques de bronze, et l’on pouvait y lire une inscription annonçant