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plus longtemps; l’Alabama et les autres corsaires qui avaient été construits, armés, équipés dans les ports anglais, avaient non-seulement détruit un nombre considérable de navires et de cargaisons, mais ils avaient obligé le gouvernement américain à faire de grandes dépenses en les poursuivant; ils avaient causé à l’Amérique un dommage presque irréparable en forçant le commerce américain presque tout entier à s’abriter sous le pavillon britannique; ils avaient fait hausser le prix des assurances, contribué puissamment à prolonger la guerre et ajouté ainsi à ses frais gigantesques. Ils ajoutaient que l’Angleterre, en n’observant pas avec une rigueur suffisante les devoirs de la neutralité, était devenue responsable des actes des corsaires, que les réclamations individuelles des armateurs s’élevaient déjà à la somme de 70 millions de francs, sans compter les intérêts, que toutefois, en vue d’arriver à un arrangement, ils ne présenteraient aucune réclamation pour les pertes de nature indirecte, quoiqu’elles fussent de beaucoup les plus considérables. Ils insistaient particulièrement sur l’espérance qu’ils formaient d’obtenir des commissaires anglais la déclaration explicite d’un regret au sujet des déprédations commises par les corsaires.

Les envoyés anglais répondirent que le gouvernement de la reine ne pouvait admettre que la Grande-Bretagne n’avait point accompli les devoirs que lui imposait la loi internationale, et qu’elle dût accepter la responsabilité des actes des corsaires. Ils rappelèrent que divers navires suspects, notamment deux navires cuirassés, avaient été arrêtés sur la dénonciation de M. Adams, que le gouvernement anglais avait même dépassé quelquefois les obligations strictes du droit des gens, qu’il avait par exemple acheté à grands frais une flottille anglo-chinoise qu’on soupçonnait devoir passer au service des confédérés; mais, bien que le gouvernement anglais dut rejeter toute responsabilité dans les actes de l’Alabama, il était prêt, dans l’intérêt de la bonne harmonie entre les deux pays, à reconnaître le principe d’un arbitrage, pourvu que l’on pût trouver des arbitres acceptables et définir les points sur lesquels l’arbitrage devait porter. Les commissaires américains répondirent qu’il ne suffisait point de définir le sujet de l’arbitrage, mais qu’il fallait également préciser les principes qui devaient guider les arbitres. C’était aller au plus vif de la difficulté, car le conflit entre M. Adams et lord Russell avait été en réalité un conflit entre le droit municipal anglais et le droit international. L’on ne s’était jamais entendu sur les principes mêmes de ce droit supérieur qu’on appelle le droit des gens. Tandis que lord Russell croyait faire tout son devoir en forçant les sujets de la reine à obéir à la lettre de la loi