Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/815

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le Canada une sorte de libre échange qui vaut mieux que tous les traités de commerce, et rien ne favorisera aussi bien l’établissement d’un tel régime que la confiance dans la paix et les bons rapports entre l’Angleterre et les États-Unis.

La dernière partie du traité est consacrée à la navigation du Saint-Laurent et de ses affluens, des canaux canadiens, du lac Michigan, au transit des marchandises canadiennes à Boston, Portland et New-York, etc. L’assentiment du parlement canadien a été réservé par les deux contractans pour tous les articles qui touchent aux intérêts des colonies anglaises dans l’Amérique du Nord. Enfin la fixation de la limite entre les États-Unis et les possessions britanniques, restée incertaine dans la partie orientale du continent, a été réservée à l’arbitrage spécial de l’empereur d’Allemagne.

Il faut le reconnaître avec tristesse, le nom de la France n’est même pas prononcé dans le traité de Washington; et cependant on peut bien rappeler que notre pays a été un des défenseurs les plus constans du droit des gens. Dans la discussion qui s’est élevée en Angleterre au sujet des règles du droit international désormais adoptées par la Grande-Bretagne et par les États-Unis, qui le seront certainement aussi par les pays dont les souverains sont désignés comme arbitres, on n’a parlé de la déclaration de Paris que pour dire qu’elle n’avait point la valeur d’un traité, et n’était qu’un simple exposé de principes. L’article 6 du traité de Washington constitue un code du droit des gens qui a été écrit sans nous. La France a-t-elle le droit de s’en plaindre? Pendant les laborieuses discussions de la commission anglo-américaine, elle était déchirée par la guerre, et ne pouvait songer qu’à défendre sa propre existence. D’ailleurs il n’y a rien dans les principes posés dans le traité de Washington qui soit contraire à ses traditions. Pendant la guerre de la sécession, son gouvernement a observé strictement les règles que l’Angleterre accepte aujourd’hui. Les États-Unis n’ont point vu des corsaires confédérés sortir de nos ports pour se jeter sur leur commerce. L’expédition du Mexique était pour eux une menace, mais elle ne violait que la doctrine de Monroë, qui ne fait point partie du droit des gens.

La France, bien qu’elle ait été comme ignorée par les signataires du traité de Washington, peut se féliciter que cette œuvre diplomatique ait pu être achevée, car l’hostilité sourde de l’Angleterre et des États-Unis a pesé bien lourdement sur nos destinées : elle avait noué les liens d’une sorte d’alliance morale entre la république américaine, la Russie et l’Allemagne; elle avait ainsi neutralisé l’Angleterre sur le continent européen et l’avait condamnée à une véritable impuissance, elle avait retenu l’essor des vieilles sympa-