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thies qui se portent toujours vers la France dans le pays de Jefferson. De quelle voix l’Angleterre pouvait-elle parler au chancelier de la confédération germanique, qui n’avait que des caresses pour les États-Unis, qui tenait les secrets de la Russie, qui pouvait mettre en faisceau les haines et les rancunes de deux continens? Il ne faut point croire qu’elle ait vu d’un cœur tranquille le triomphe inoui de l’Allemagne, qu’elle n’ait point trouvé notre chute trop lamentable. Sa politique est toujours la même, il ne peut lui convenir qu’il y ait sur le continent européen une puissance trop prépondérante; elle s’est réjouie de l’unité allemande, elle ne saurait se réjouir d’une dictature allemande. La vieille formule de l’équilibre européen est encore celle qui représente le mieux ses intérêts. Que les petits états disparaissent, peu lui importe, pourvu qu’il reste quelques grands états capables de se contre-balancer. Depuis la guerre d’Amérique, son action diplomatique n’a plus été que défensive en quelque sorte; derrière la moindre complication, ses hommes d’état, si clairvoyans, si patriotes, apercevaient le danger formidable d’une alliance des États-Unis et de la Russie. Ils savaient bien que dans tout cœur russe il y avait écrit le mot Sébastopol, dans tout cœur américain le mot Alabama. L’Angleterre peut aujourd’hui respirer plus librement : elle a tellement pris l’habitude de n’intervenir que le moins possible dans les affaires du continent, qu’elle restera peut-être fidèle à cette habitude. L’affreux spectacle de nos guerres n’est point fait pour la rendre plus martiale. Il y a cependant quelque chose dans sa nature et dans le génie même de sa race qui ne s’accommode pas volontiers longtemps d’un état modeste, d’une médiocrité résignée. Elle a porté sa fortune si haut qu’elle doit quelque chose à sa propre fortune. Le jour reviendra peut-être, il reviendra quand elle le voudra, où elle pourra encore rendre de grands services à l’Europe et montrer qu’elle n’a point dégénéré, comme le disent ses ennemis.


AUGUSTE LAUGEL.