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nistrative qui compte à peine quelques milliers de personnes. On voit sur le Bosphore un certain nombre de belles demeures où vivent des gens qui n’ont jamais rien appris ; ils ont pour mission d’aller à tour de rôle régir les provinces. Chaque année, la Porte en fait partir quelques-uns. Le hasard détermine les pays où on les envoie, ils vont en Asie comme en Europe, avec une égale facilité, presque partout ils trouvent une population ennemie bien supérieure en nombre aux sujets osmanlis ; ils ignorent la langue de leurs administrés, ils savent du caractère des habitans, de leurs usages, de leur histoire, ce qu’ils en ont entendu dire dans quelques rares conversations. Ni le courage des Arabes, ni l’activité des Grecs, ni l’énergie des Albanais, ni le sérieux et la ténacité des Slaves ne les effraient. À peine dans leur gouvernement, ils se sentent à leur place, ils y parlent en maîtres et s’y font respecter : ces hommes ont l’instinct du commandement. Le gouverneur le plus modeste vous reçoit toujours avec gravité ; si obligeant qu’il soit, si désireux qu’il se montre de vous être agréable, vous ne pouvez oublier qu’il est la puissance. Il n’a garde de se compromettre par des paroles inconsidérées ; il se renferme dans une réserve polie. À cette dignité extérieure, les hauts fonctionnaires turcs joignent souvent une rare finesse, d’autant plus précieuse qu’elle sait mieux se dissimuler. Le principal de leur rôle consiste à tout arranger à l’amiable, sans oublier leur intérêt personnel, à veiller à la perception de l’impôt, surtout à maintenir l’ordre. On a souvent répété que le zaptié du Saint-Sépulcre à Jérusalem était le symbole de la puissance des Osmanlis. Ce gendarme est assis à l’intérieur de l’église, sous le porche ; il passe là tout le jour, regardant à peine ce qui s’accomplit sous ses yeux ; il fume, fait bouillir son café, cuire un plat de riz ou de légumes ; dans son immobilité somnolente, il paraît être l’image du mépris et de l’indifférence. C’est lui cependant qui règle les heures où chaque confession peut entrer au Saint-Sépulcre, qui ouvre et ferme le portail, qui d’un mot fait cesser le bruit ou chasse un intrus. Sans lui, l’église serait un lieu de luttes perpétuelles ; grâce à lui, l’ordre règne au tombeau de Jésus-Christ. À Pâques seulement, l’affluence est trop grande, il ne saurait suffire à sa tâche ; on lui substitue alors une compagnie de soldats turcs. Cette comparaison, déjà vieille, sera longtemps vraie : tout vali est plus ou moins un zaptié d’un ordre supérieur.

Quand on dit qu’une aristocratie administrative régit la Turquie ou plutôt l’exploite, il ne faut pas entendre que tous ces fonctionnaires sont de haute naissance. Ils sont tous, sinon Osmanlis de race, tout au moins musulmans ; beaucoup pourraient être appelés des parvenus. La voie ordinaire des honneurs, c’est de vivre dans la clientèle des grands. On ne peut trop insister sur l’importance de