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parlait le grand-vizir, à gauche celui qui était réservé aux solliciteurs. Les murs sont recouverts de peintures sur bois dont le temps n’a pas altéré la fraîcheur : ce sont des oiseaux, des bouquets, des guirlandes du plus vif éclat ; on ne peut mieux les comparer, pour la finesse des détails et la grâce, qu’aux décorations des glaces et des coffrets persans. Ainsi ce puissant maître, qui devait souvent donner des ordres cruels, était entouré des images les plus riantes. Au milieu d’une seconde cour moins grande que la première, mais encore très étendue et qui nous sépare du palais proprement dit, s’élève une tour gigantesque qui domine toute cette habitation, la campagne environnante et une partie de la ville. On y monte par un double escalier extérieur de marbre blanc qui donne accès sur un perron monumental. Au sommet de l’édifice est une loge circulaire de bois qui fait saillie de tous les côtés. Le séraï de la Corne-d’Or possédait un beffroi pareil que Choiseul-Gouffier a encore vu et qu’il a fait dessiner. L’aile gauche du palais, qui contenait le harem, a été détruite, l’aile droite subsiste encore en partie. On y remarque surtout un salon de réception séparé du jardin par de larges fenêtres ; cette pièce est une sorte de loggia qui devait se fermer en hiver ; on y monte par quelques marches. Quand le jardin est en fleurs, les arbustes et les bouquets d’arbres qui le remplissent se confondent avec ceux qui décorent les fenêtres et la chambre elle-même. Là, au milieu des plantes grimpantes, au bruit des fontaines qui, dans le salon et au dehors, ne cessaient de lancer dans l’air des gerbes d’eau, le sultan pouvait oublier qu’il était renfermé dans les murs étroits d’un palais.

À côté de ce salon sont trois chambres peu étendues, garnies dans toute leur hauteur de briques émaillées bleues et vertes du plus beau travail. Les dessins en sont très simples, ils représentent des fleurs et des arabesques ; cependant plusieurs briques conservent le plan de la Kaaba ; bien qu’il soit réduit à l’indication sommaire des principales parties, il est très exact. J’ai pu le comparer à des photographies qu’un officier musulman revenant de La Mecque m’a montrées à Damas en 1868. Toutes les autres dépendances du palais, écuries, cuisines, chambres des serviteurs, n’offrent plus aucun intérêt. Des architectes persans ont bâti ce palais ; mais ils ont dû se conformer au goût du maître. Cette profusion de beautés naturelles, ces cours où on voyait autrefois des peuplades entières, cette salle d’audience, ce salon qui, ouvert sur le jardin, était un jardin lui-même, cette ornementation qui évite les contrastes violens, ces chambres admirables couvertes de briques, ce beffroi qui rappelait sans cesse aux sujets la présence du maître, font revivre pour nous la cour des premiers princes osmanlis. L’Europe a peu de monumens historiques plus précieux. On dit qu’Abdul-Medjid vint