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visiter ce palais, et qu’en voyant l’état de ces ruines il ne put retenir ses larmes.

Des cent cinquante mosquées d’Andrinople, huit sont surtout remarquables par la beauté des proportions et l’antiquité. L’une d’elles, l’Eski djami (la mosquée vieille), date du temps de Mahomet Ier, la Muradié a été bâtie par Murat Ier. Constantinople n’a aucun édifice turc aussi ancien[1]. Ces mosquées appartiennent déjà au style que les Ottomans vont conserver pendant les époques suivantes. Il ne faut les comparer ni à la célèbre mosquée de Brousse, autrefois couverte de faïences, ni à celles du Caire, brodées, découpées comme des dentelles, chefs-d’œuvre de légèreté et d’élégance. Ce sont des œuvres byzantines construites par des architectes grecs. Bien avant la conquête de Constantinople, les Osmanlis avaient à leur service des artistes chrétiens ; ils leur confiaient la construction des édifices religieux, comme ils demandaient aux Persans de leur élever des palais. Rien n’est tout à fait turc dans les monumens de cette époque, et la raison en est simple : rien n’a été fait par des Turcs. On connaît le plan général des mosquées osmanlis, ces minarets, ces cours, ces fontaines, ces ombrages, ces sanctuaires sans décoration aucune qui produisent cependant une vive impression de grandeur religieuse. Ce qui est beau à l’intérieur d’une mosquée, c’est la coupole suspendue à une si grande hauteur, c’est la nudité absolue de ces espaces. Les curieux remarquent ici un grand nombre de colonnes antiques que les sultans ont enlevées aux ruines de l’Asie-Mineure. Les caravansérails d’Andrinople, dont plusieurs datent du XIVe et du XVe siècle, nous reportent également à une époque florissante. Ce sont de longues galeries en granit, où on entassait les marchandises et qui contenaient aussi des logemens d’habitation et des écuries. Cette ville, plus peuplée autrefois qu’aujourd’hui, était entièrement pavée ; partout on voit encore les pierres bouleversées et qui ne font plus que rendre les rues impraticables. Dès le temps de Mahomet II, une grande route dallée allait de Rodosto à Belgrade, traversant toute la Roumélie, une partie de la Bulgarie et la Servie. C’était une œuvre digne des Romains ; le voyageur y trouvait plus de trente ponts et autant de khans : ces khans, comme ces ponts, étaient des monumens ; nous en avons rencontré quelques-uns en venant à Andrinople. De si belles œuvres donnent une grande idée de l’ancienne puissance des Ottomans, de leur bon sens pratique et de leur activité. Au XVIe siècle, aucun état de l’Europe n’avait construit des travaux d’utilité publique plus vastes et mieux entendus.

  1. Les cinq autres furent élevées par Murat II, Selim II, Bajazet Ier, Bajazet II, Moustapha III et Soliman.