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ne voit plus que dans les portraits historiques ; cette ville a un cercle où on trouve un journal français.

Il ne faut faire aucune comparaison entre l’intelligence que les chrétiens ont de nos usages et celle qu’on trouve chez les Turcs désireux de prendre les manières de l’Europe. Il entre dans le programme de la réforme ottomane de forcer les fonctionnaires à prendre nos habitudes extérieures. Ils doivent donner des bals à l’européenne, des dîners à trois services, échanger des visites de politesse. — Le vali d’Andrinople, plusieurs fois chaque année, ouvre ses salons, de vastes granges ornées de canapés. Les dames chrétiennes, en robes décolletées, sont naturellement les seules femmes admises à ces fêtes. Quelques militaires turcs ont reçu l’ordre de danser ; ils n’ont pas d’objection à faire : à l’heure fixée, ils ouvrent les quadrilles. De là les aventures les plus étranges. Si par hasard vous revenez, le bal fini, dans le salon, vous vous heurtez à des masses informes roulées dans des couvertures ; ce sont les officiers requis des villes environnantes, qui ont dansé, comme le veut la discipline, et qui dorment tout habillés sur le théâtre de leurs exploits. Parfois le vieil élément osmanlis diversifie l’aspect de ces fêtes. À Larisse, à une réception du pacha, l’ornement de la soirée fut un homme merveilleux, qui imitait le cri de tous les animaux. « Voyez, me dit Hassam, comme les Turcs sont civilisés ; au milieu de leurs fêtes, ils aiment à entendre des chants qui leur rappellent les forêts et la nature ! Ne manquez pas de raconter cela dans votre récit. » Les dîners officiels ne sont pas mauvais ; les gouverneurs ont la bonne idée d’y servir surtout des plats turcs ; ce sont les seuls auxquels il faille goûter. L’étranger doit surtout se défier d’un vin de Champagne qu’on sert dans ces repas, et qui provient sans doute de quelque officine Israélite. Les petits vins du pays sont bien meilleurs. Les musulmans, pour montrer qu’ils n’ont pas de préjugés, y font honneur, mais parfois ils boivent alternativement ce vin et du lait frais, usage que nous ne saurions imiter. Les fourchettes et les cuillers sont dans toutes les mains ; cependant votre voisin, quand il a trouvé un morceau à son goût, ne manque pas, pour montrer combien il vous estime, de le diviser en deux avec ses doigts et de vous en donner la moitié. La conversation est peu animée, mais les toasts se renouvellent fréquemment : toast au sultan, aux consuls, à l’Europe, à la France, aux personnages notables ; ce sont de vrais discours suivis de hurrahs d’autant plus accentués que le dîner touche à sa fin.

Le grand mérite dans ces improvisations est de montrer qu’on sait emprunter à l’arabe et au persan des expressions élégantes et multiplier les métaphores. Voici un de ces toasts qui transporta d’aise tout l’auditoire : « Je bois à la santé d’Abdul-Aziz-Khan,