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I.

Lysias était originaire de Syracuse, cette patrie de la rhétorique, cette ville qui avait vu les premiers essais de Corax et de Tisias. Son père Képhalos était allé s’établir à Athènes sur les instances de Périclès, qui cherchait à y attirer, avec leurs capitaux, des étrangers riches et industrieux ; il y vécut encore une trentaine d’années, et y fit une belle fortune dans les affaires. Dans l’admirable préambule de la République, Képhalos est représenté vers 421 comme un vieillard aimable et hospitalier, tout entouré d’affection et de respect ; c’est sa maison du Pirée qui est le théâtre de l’entretien. Quand Thurium se fonda, en 444, dans la Grande-Grèce, sous les auspices d’Athènes, Lysias, affirmait-on, s’y rendit avec son frère Polémarque pour y prendre possession du lot attribué à sa famille : on dit qu’il avait alors quinze ans. Si l’on acceptait cette assertion, ce serait en 459 qu’il faudrait placer la date de sa naissance ; mais un érudit plus compétent que personne pour tout ce qui touche aux orateurs attiques, Antoine Westermann, a prouvé que ce témoignage s’accordait mal avec d’autres données plus certaines ; c’est en 431 qu’il fait naître Lysias, et son opinion s’appuie sur de très bons argumens. Ce qui est certain, c’est que Lysias passa dans l’Italie méridionale et en Sicile une partie de sa jeunesse. Il avait sans doute encore des parens à Syracuse ; il y séjourna, il y étudia la rhétorique et la sophistique sous la direction de Tisias et d’un autre Syracusain nommé Nicias.

En 412, le parti lacédémonien profita des premiers désastres d’Athènes pour prendre Is dessus à Thurium et faire entrer cette ville dans la ligue péloponésienne ; ceux des citoyens qui ne voulurent pas trahir la métropole durent vendre leurs biens et quitter la ville. Lysias revint alors à Athènes ; il s’y fit connaître comme rhéteur et sophiste en même temps que, associé à son frère, il continuait les affaires de son père. Celui-ci avait laissé, outre des fonds placés dans diverses entreprises, un atelier où l’on fabriquait des boucliers, industrie qui par ce temps de guerre ne devait point être exposée aux chômages. Comme Képhalos, Lysias et Polémarque sont métèques, c’est-à-dire étrangers domiciliés. Athènes étant alors depuis près d’un siècle la maîtresse des mers, le Pirée était devenu l’un des premiers marchés commerciaux de la Méditerranée ; aussi les étrangers y affluaient-ils, certains de trouver à y faire valoir