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avaient dû, aidées de l’âge et de la réflexion, commencer à le dégoûter de la rhétorique. Après la délivrance d’Athènes, quand il a des ennemis à punir et des amis à servir, il comprend que l’on peut faire de la parole un autre usage que d’en jouer comme d’une cithare ou d’une flûte pour amuser les oisifs. Ces débats l’ont mis en vue ; il y a tout à la fois fait briller son rare talent et affirmé avec éclat ses opinions. S’il fût né ou s’il était resté citoyen, la carrière politique lui était toute grande ouverte ; fort des services rendus et de l’amitié que lui avait hautement témoignée Thrasybule, il aurait pu devenir un des orateurs les plus écoutés et les plus influens. Sa qualité de métèque l’empêche d’aborder la tribune du Pnyx ; mais il n’en trouve pas moins moyen d’agir sur l’opinion et d’avoir un rôle public. Il est connu comme l’un des adversaires constans de l’aristocratie, comme l’avocat de la démocratie ; on vient lui demander de composer : — pour l’assemblée, des harangues inspirées du souffle démocratique, — pour les tribunaux, des plaidoyers destinés à repousser des tentatives comme celle d’Ératosthène, à écraser ce qui subsiste encore de l’odieuse coterie oligarchique, les imprudens qui relèvent la tête au lieu de se contenter de l’oubli. La condamnation qu’il avait obtenue n’avait point désarmé sa juste haine ; il continua son œuvre de vengeance en prêtant le secours de son talent à tous ceux qui voulaient poursuivre quelqu’un des agens ou des complices de la tyrannie déchue. Toutes les fois qu’il rencontre ces souvenirs sur sa route, on sent que ce n’est plus un avocat qui fait son métier ; sa parole s’anime de je sais quel accent de passion sincère et toute personnelle[1].

Depuis lors la situation de Lysias ressemble assez à celle de l’avocat qui, chez nous, a pris une couleur politique, qui appartient à un parti et qui en plaide les procès ; mais ceci n’aurait pas suffi à l’occuper. D’ailleurs, élevé dans une opulence qu’avaient singulièrement diminuée les confiscations des trente et les sacrifices faits par l’exilé, Lysias avait des goûts de dépense. D’après Athénée, le Tallemant des Réaux de l’antiquité, c’était un homme de plaisir ; il fut l’amant de plusieurs des courtisanes célèbres du temps. Avec ses goûts de luxe, Lysias dut tirer de son talent le plus de parti possible. Il écrivit donc des discours pour tous ceux qui lui en demandèrent, pour des procès civils et pour des procès criminels. Au début du IVe siècle, il était le plus occupé et sans doute le mieux payé des logographes athéniens.

  1. Nous citerons, outre le discours contre Ératosthène (XII), ceux qui ont pour titre contre Agoratos (XIII) et sur l’Enquête préalable que subit Evandre (XXVI). Dans ce dernier surtout, dont nous n’avons qu’un assez long fragment, il y a une rare énergie.