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dinaire emploi et la forme la plus brillante de son talent. On trouvait pourtant dans ses œuvres quelques exemples des deux autres genres que reconnaît la rhétorique, de la harangue politique et du discours d’apparat. Sa situation de métèque lui interdisait la tribune; mais on savait son sincère attachement aux institutions démocratiques, pour lesquelles il avait souffert et lutté; les hommes d’état qui les rétablirent à Athènes après l’expulsion des trente trouvèrent donc naturel de réclamer le secours de son éloquence pour les défendre par la parole dans les assemblées. Nous avons un curieux fragment d’un discours qui porte ce titre : Qu’il ne faut pas abolir à Athènes l’ancienne constitution. Il s’agissait de combattre une proposition présentée par un certain Phormisios, dont nous ne savons rien d’ailleurs. Celui-ci, en voulant réserver le suffrage aux propriétaires du sol, se trouvait dépouiller ainsi de leurs droits civiques environ 5,000 Athéniens; c’était, à peu de chose près, revenir au plan qu’avaient exposé en 411 Antiphon et ses amis. Or on avait vu le parti aristocratique à l’œuvre sous les quatre cents et sous les trente; on savait comment il entendait ce qu’il appelait « le gouvernement des bons, » comment il respectait la justice et la liberté; il était urgent de s’opposer à toute mesure qui lui permettrait de chercher à ressaisir le pouvoir. Pour qui Lysias écrivit-il ce discours? Fut-ce pour son ami et protecteur Thrasybule ou pour quelque autre de ceux qui, revenus avec lui de l’exil, travaillaient alors à rétablir l’ordre et à panser les blessures de la république? Nous l’ignorons. Le principal intérêt de ce fragment, c’est qu’il nous fait connaître des manœuvres et des projets dont l’histoire proprement dite ne nous avait pas gardé la trace; mais il nous sert en même temps à prouver que Lysias eut aussi par cette voie indirecte sa part d’influence sur la conduite des affaires publiques, et qu’il contribua par ses exemples aux progrès de l’éloquence politique.

Enfin Lysias, alors même qu’il eut renoncé à ces bagatelles laborieuses où s’était divertie sa jeunesse et où il avait manqué perdre tant d’heureux dons, en revint encore parfois, dans la pleine maturité de son talent, à ce genre qui lui avait été jadis si cher et que nous avons rapproché du discours académique des modernes; mais il y apporta un tout autre esprit qu’autrefois. Instruit par les épreuves qu’il avait subies, habitué par les luttes judiciaires à poursuivre, chaque fois qu’il prenait la parole, un but défini, un résultat utile, il s’efforça de mettre, même dans ces œuvres d’apparat, des sentimens élevés et des idées pratiques. C’est ce que nous prouve le discours olympique prononcé en 384 au milieu du concours de peuple attiré par les jeux sur les bords de l’Alphée, une année où Denys, le tyran de Syracuse, avait essayé d’éblouir la