Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 94.djvu/879

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cet état d’opinion est unique. C’est, croyons-nous, la première fois qu’on aura vu mentir cette loi qui appartient au monde moral encore plus qu’au monde physique : la réaction est toujours égale à l’action. Il me souvient encore de l’année 184S. Quelle marée montante d’indignation après les tristes journées de juin ! quel choc en retour après ce coup de foudre! quelle vigoureuse poussée de toutes les forces sociales! La réaction non-seulement suivit immédiatement l’action, mais encore la dépassa de beaucoup. Trois ans d’une colère infléchissable répondirent à quelques heures d’alarmes, et il semblait qu’il n’y aurait jamais assez de fureurs pour venger cette agression. La menace d’un danger possible, voilà ce qui causa la réaction de 1848. — Nous sortons d’une bien autre secousse, la menace est devenue fait, le danger est devenu catastrophe. Une émeute non plus militante, mais triomphante, a pendant deux longs mois et demi déroulé son carnaval sinistre à travers la capitale, qu’on n’a pu lui arracher qu’au prix de flots de sang et par des ruines sans fin. Nos rues obstruées de décombres appellent notre pitié sur les malheurs privés de la foule anonyme de nos concitoyens engloutis sous les désastres d’une apocalypse burlesque autant que cruelle; nos monumens incendiés nous racontent les outrages qu’a subis la majesté nationale violée. Ce n’était pas assez que la catastrophe fût sanglante et ruineuse, les dieux pleins de malice ont encore voulu qu’elle fut humiliante à l’excès. Jamais grande civilisation ne fut souffletée par d’aussi petites mains. Ce qu’il y a eu de plus minuscule au monde depuis que l’histoire existe, ce sont les héros et les acteurs de la révolution de 1871. Lilliput a eu pouvoir d’opérer des ruines colossales qui d’ordinaire sont l’œuvre de Brodingnac en délire. Ce fameux bronze de la colonne, deux fois impérissable au dire de M. Hugo, fait qu’il était de gloire et d’airain, n’a pu tenir contre un paradoxe de rapin, et le vent du cabotinage a fait flamber comme paille la résidence de nos rois. Une farce des Bouffes-Parisiens s’épanouissant en mélodrame de la Porte-Saint-Martin, voilà quelle est exactement cette révolution de la commune qu’un artiste définissait encore assez bien devant nous en l’appelant la révolution des fruits secs. Eh bien ! nulle réaction n’a suivi cet inqualifiable assaut. Les âmes n’ont eu ni sursaut, ni tressaillement; une sorte de stupeur où le désir du silence se combine avec la paralysie de l’effroi est le seul sentiment qu’elles semblent connaître. Quelques hochemens de tête accompagnés de quelques timides interjections de tristesse, voilà toute la réaction de 1871. Et ce sera tout, selon toute apparence. D’où vient cela? Est-ce que nous avons tellement dégénéré en vigueur morale dans ce court espace de vingt années