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DERNIER DISCOURS DU PATRIOTISME ATHÉNIEN.

que n’eût-elle pas fait à l’égard des hommes ! N’eût-elle pas anéanti toute morale ?… Il n’y a de bonheur que si l’on obéit, non pas à la menace d’un homme, mais à l’ordre de la loi, — de liberté que si l’on redoute, non d’être accusé, mais d’être convaincu, — de sécurité pour les personnes que si l’on se sent, non pas entre les mains de ceux qui flattent les maîtres et calomnient les citoyens, mais sous la garantie tutélaire des lois. C’est pour tous ces biens que ces guerriers ont cherché fatigues sur fatigues, détruisant par leurs périls de chaque jour des causes éternelles de craintes pour leurs concitoyens et pour les Hellènes, et sacrifiant leur vie afin de permettre aux autres de bien vivre. »

Ce n’est pas le ton d’une philippique, la tribune du Pnyx avait d’autres accens et des élans plus libres ; mais ces phrases, qui dans le grec se balancent avec art, respirent cependant la passion. On se tromperait fort, si l’on n’y voyait qu’un lieu-commun et une amplification déclamatoire : c’est l’image trop vraie de l’avilissement de la Grèce et des humiliations dont Athènes elle-même, la noble Athènes, était menacée. Déjà, quelques années auparavant, elle avait reconnu Alexandre comme fils de Jupiter Ammon ; du moins était-ce sans enthousiasme, avec une triste résignation malgré les efforts de Démade et de quelques autres stipendiés, qu’elle avait accepté cette divinité comme une nécessité politique plus ridicule que honteuse. Cependant après la défaite de Cranon, au lendemain du discours d’Hypéride, comme tout se précipite ! Les plus illustres défenseurs de la liberté, Démosthène, Aristonicus, Himéræus, Hypéride lui-même, meurent sacrifiés. Bientôt trois cent soixante statues de bronze se dresseront dans Athènes en l’honneur de Démétrius de Phalère. Dix ans de plus, et on élèvera des temples au soi-disant libérateur Démétrius Poliorcète. On brodera ses exploits et ceux de son père Antigone à côté des images de Jupiter et de Minerve, sur le péplum des Panathénées ; plus tard, on lui livrera le Parthénon même pour s’y installer avec ses courtisanes favorites à la place de la déesse vierge, on lui prodiguera les adulations jusqu’à l’en dégoûter. Il s’était éloigné pendant quelques années, appelé ailleurs par d’autres guerres ; quand il revient, à l’époque des Éleusinies, il est accueilli comme le dieu de la fête, par des processions, par des danses, par des hymnes enthousiastes, chantés sur le rhythme consacré à Bacchus. C’est Démétrius, fils de Poséidon et d’Aphrodite, qui arrive avec Déméter (la déesse d’Éleusis), c’est le dieu suprême qu’on voit et qu’on adore en face. — « C’est toi que nous prions, car les autres dieux sont bien loin, ou ils n’ont pas d’oreilles, ou ils n’existent pas, ou ils ne s’inquiètent pas de nous ; mais toi, nous te voyons devant nous, non en bois ni en marbre, mais présent réellement… » Voilà jusqu’où vont les trans-