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viendraient leur en acheter. On décida qu’on en ferait venir de la province, ainsi que de la poudre et du grain. Les plus aisés du conseil de l’union se cotisèrent, et l’on envoya dans les principales villes des agens qui portaient en outre des lettres pour les ligueurs les plus notables. On les y exhortait à faire mettre leur ville en état de défense dans la prévision de quelque attaque de la part des huguenots, car on n’y parlait point encore d’insurrection, et l’on disait qu’on ne prendrait un grand parti qu’à la mort du roi. Quand le conseil se fut mis ainsi en rapport avec les ligueurs de la province, on laissa percer des plans plus hardis ; on s’occupa d’un projet de fédération des communes ligueuses sous la direction de la commune de Paris. Henri III fut bientôt sur la trace de ces complots, mais les meneurs prenaient une foule de précautions pour échapper à sa surveillance. A Paris, ils se réunissaient tantôt dans un endroit, tantôt dans un autre, et à chaque séance on fixait le lieu où devait se tenir la séance suivante. Les émissaires qui parcouraient les provinces prenaient différens déguisemens ; ils s’habillaient tantôt en moine, tantôt en jésuite, tantôt en marchand, etc.

Composée comme elle l’était, cette vaste association secrète, qui s’étendait sur toute la France, pouvait difficilement demeurer dans une attitude expectante, car parmi les conspirateurs il y en avait bon nombre qui se trouvaient pressés d’agir. Le menu peuple surtout était impatient de recueillir les avantages qu’on lui promettait ; les retards le mécontentaient, et il parlait même de tenter une action sans le concours des chefs. C’est ainsi que s’ourdit contre le roi un projet d’assassinat qui ne réussit point. L’arrivée du duc de Mayenne a Paris calma un instant ces ardeurs ; il annonçait des succès militaires contre les huguenots, qu’il n’avait pas, il est vrai, remportés ; il se faisait fort de prochaines victoires. Grâce à son crédit, il put protéger ceux des conjurés qui devenaient suspects ; il en fit même élargir un que l’on avait emprisonné. Les ligueurs étaient alors si nombreux qu’ils bravaient déjà l’autorité. Bien des officiers du roi les ménageaient, dans la crainte qu’ils ne devinssent un jour les maîtres. On se décida enfin à l’action. Un plan de soulèvement fut concerté. Paris fut divisé en cinq sections, qui eurent chacune à sa tête un des membres du conseil de l’union. On comptait s’emparer par surprise de la Bastille, du Grand et Petit Châtelet, de l’Arsenal, du Temple et de l’Hôtel de Ville, mettre la main sur le chancelier et les principaux magistrats dont la fidélité au roi était connue, puis pénétrer dans le Louvre, afin de se saisir, s’il se pouvait, d’Henri III lui-même. Pour faire obstacle à l’arrivée des troupes de police et à l’intervention de la noblesse et des compagnies bourgeoises, on devait construire dans tous les quartiers de la ville, à l’aide de tonneaux remplis de terre et en fermant les chaînes des