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service de la milice ; mais ils avaient à redouter les dénonciations des sergens des seize, qui ne reculaient devant aucun moyen, et où se retrouvait plus d’un des massacreurs de la Saint-Barthélémy. Ils risquaient fort aussi d’être signalés par leur curé, au courant des opinions de tous ses paroissiens. En ces temps où les journaux et les clubs étaient inconnus, la prédication exerçait l’action de la presse aujourd’hui, et les partis achetaient l’éloquence de ces tribuns tonsurés. Payés par la duchesse de Nemours, qui leur envoyait tous les matins le texte sur lequel elle avait intérêt qu’on prêchât, encaissant les doublons du roi d’Espagne, qui fomentait chez nous la révolte, encouragés par les seize, dont ils partageaient les rancunes et les convoitises, les prédicateurs de la ligue ne se lassaient pas d’exciter la populace, dont ils empruntaient le langage brutal et ordurier. Les docteurs de Sorbonne s’abaissaient aussi à la flatter en mettant leur théologie au service de ses passions ; le parlement lui-même se laissait aller au torrent révolutionnaire. Tout en rendant des arrêts pour rétablir l’ordre, mettre un terme aux violences, interdire les assemblées tumultueuses, les levées de subsides arbitraires, il sanctionnait des mesures iniques par peur du parti avancé. Il prononçait la confiscation des biens de tous ceux qui tenaient pour le roi huguenot ; il décidait même que, quand une succession viendrait à s’ouvrir, si les héritiers se trouvaient être du parti contraire, le gouvernement de la ligue hériterait de ses biens. En juin 1590, il défendait sous peine de mort à qui que ce fût de proposer aucun accommodement avec Henri de Bourbon.

C’était par de tels moyens qu’on croyait retenir les Parisiens dans les rangs de la ligue. La Sorbonne proclamait martyrs et défenseurs de la foi tous ceux qui travaillaient contre le roi hérétique. Pour pousser à la résistance, le clergé séculier, les moines eux-mêmes se montrèrent en armes, et tout Paris assistait à des processions d’un nouveau genre où l’on vit prêtres et religieux la cuirasse au dos, le mousquet sur l’épaule ou la hallebarde à la main. Le ridicule qui s’attacha bientôt à ces montres de l’église militante laissa dans les esprits, en dépit des alarmes qui régnaient alors, un jovial souvenir. La plus grande partie de la population était en proie à un de ces accès de délire si fréquents dans nos révolutions. La démence devenait pour ainsi dire contagieuse ; toutes les cervelles malades, les intelligences troublées, se mettaient à la tête du mouvement, et la foule les adoptait pour ses idoles. L’évêque de Senlis, Guillaume Rose, qui se signala par la violence inouïe de ses prédications, qu’on vit le 3 juin 1589 à la tête de la fameuse procession armée de la ligue, avait eu des attaques