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d’aliénation mentale. Plusieurs des seize, les plus ardens, moururent de fièvre chaude.

A mesure que le siège se prolongeait, l’investissement devenait plus étroit. La disette se faisait cruellement, sentir ; le peuple murmurait. Les seize lui avaient promis qu’on appliquerait à l’achat des vivres, le produit de la vente des biens des absens ; mais l’argent avait passé à quelques spéculateurs, et les denrées se maintenaient à des taux exorbitant. L’évêque de Paris, Gondi, dut autoriser les églises à vendre leurs vases d’or et d’argent pour subvenir à la misère publique, le corps de ville, décida qu’il serait délivré à un boulanger par quartier du blé à 4 écus le setier sous la condition qu’il livrerait du pain au peuple à 6 blancs la livre ; mais ce n’était pas seulement l’argent qui manquait, le grain et les autres matières alimentaires faisaient partout défaut. Ou criait aux accapareurs ; il y eut des prédicateurs qui soutinrent que la disette était factice, et que certaines gens entassaient le blé dans leurs greniers pour contraindre le peuple à demander la paix. Le duc de Nemours et le bureau de la ville prescrivirent des perquisitions à domicile afin qu’on découvrît ceux qui cachaient des provisions. On visita avec soin les couvens, où, disait-on, les religieux détenaient des vivres en abondance. On en trouva en effet une assez grande quantité dans quelques maisons conventuelles, notamment chez les jésuites. Les religieux furent condamnés à nourrir pendant quinze jours les indigens, ce qu’ils firent avec des viandes dont nul n’aurait voulu en d’autres temps. L’ambassadeur d’Espagne se vit aussi dans l’obligation de faire des distributions qui n’étaient pas plus appétissantes. Les mesures prises par l’autorité municipale pour l’approvisionnement avaient été dans le principe fort imparfaites, et il se trouvait alors dans Paris une population d’environ 220,000 âmes qui avait tout épuisé. On en vint à dévorer les chiens, les ânes et les rats, à se disputer les charognes les plus repoussantes, à se nourrir d’herbes et de cuire amollis dans l’eau ; on alla jusqu’à faire du pain avec des ossemens. Pour soutenir la population dans une pareille extrémité, les prédicateurs exaltaient l’abstinence. comme une vertu cardinale. Des soldats se mirent à chasser aux enfans, et certains théologiens déclarèrent à cette occasion qu’il était moins criminel de manger de la chair humaine que de reconnaître un roi hérétique !

Tant qu’on n’avait souffert que la disette les Parisiens avaient montré une résignation qui étonnait Henri IV. Il avait cru qu’une ville accoutumée à la paix et à l’aisene soutiendrait pas longtemps la privation des vivres, et c’est ainsi qu’il comptait prendre la place. Les habitans se consolaient par des bons mots et des quolibets des souffrances qui leur étaient imposées ; mais quand la famine fut