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ceux qui étaient venus le trouver pour demander qu’on ouvrît avec le roi des négociations, et leur dit d’un ton hautain : « C’est assez pour une fois, mais que cela ne se renouvelle pas !… » Il se rejeta de ce moment du côté des exaltés, espérant ainsi contenir les royalistes. C’était l’époque où l’on devait procéder aux élections du bureau de la ville. Mayenne se rendit en personne à l’assemblée ; il désirait maintenir à la prévôté le président au grand-conseil Boucher, dont le peuple ne voulait plus. Cela était contraire à tous les précédens, il n’osa insister et laissa élire le maître des comptes Lhuillier, qui avait donné des gages suffisans à la ligue ; mais, deux des échevins choisis ne lui ayant pas convenu parce qu’ils étaient politiques, il ne tint nul compte de leur élection, et désigna lui-même l’avocat Pichonnat, l’âme des seize, et Neret, homme honnête, mais nul, qui n’avaient eu l’un et l’autre que peu de voix. Les modérés, qui ont toujours été des gens timides, prirent peur ; ils accordèrent ce nouveau choix volontiers, n’osèrent plus parler de sauver le roi, et se montrèrent doux comme des agneaux. Ils s’effrayaient d’ailleurs de la recrudescence des violences de la chaire, où l’on réclamait à grands cris la mort de ceux qu’on appelait des traîtres. Dans les nouvelles dispositions où était Mayenne, les politiques pouvaient être exposés à des mesures de répression sévère, d’autant plus qu’Henri IV n’avait pas consenti à la trêve demandée jusqu’à une réunion des états. Cependant, tout en favorisant le parti exalté, allant même jusqu’à faire cesser les poursuites contre ceux qui étaient impliqués dans l’assassinat de Brisson, jusqu’à en rétablir quelques-uns dans leurs emplois, le lieutenant-général n’entendait pas laisser cette faction le dominer ; averti de conciliabules qui s’étaient tenus chez les coryphées du parti, quoique ce qu’ils eussent arrêté dans leurs réunions fût conforme à ses propres intentions, il trouvait mauvais qu’ils se fussent assemblés contrairement à ses défenses. Les seize n’étaient donc point satisfaits ; ils renouvelèrent leurs attaques et leurs injures contre Mayenne, et se lièrent de plus en plus à l’Espagne ; ils parvinrent ainsi à entretenir dans la ville une agitation qui pouvait ramener le désordre. Recourant, comme d’habitude, à l’emploi de fausses nouvelles, répandant le bruit de prétendues défaites du Béarnais qui faisaient encore des dupes, ils tenaient en échec les menées du parti contraire. Ce n’était là de leur crédit qu’une hausse factice. Le fond de la population, qui avait tant souffert des horreurs de la famine, ne se résiliait pas à la disette, qui reprenait depuis les nouvelles entraves apportées par les chefs de l’armée royaliste à l’approvisionnement de Paris. Les denrées remontaient aux prix les plus élevés ; le commerce était mort et les ressources de chacun épuisées. Les marchands s’assemblèrent pour demander que l’état