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désirait qu’une chose, devancer la défection de l’Autriche, frapper les grands coups avant qu’elle se déclarât contre lui et l’avoir ensuite à sa discrétion, comme il avait eu la Prusse à sa discrétion après la victoire d’Austerlitz.

« Quant à M. de Metternich, il connaissait bien l’empereur et s’attendait à tout, il connaissait bien sa propre position et se tenait prêt à tout risquer ; mais, décidé à jouer le tout pour le tout, il ne voulait agir que sous le coup de la nécessité, après avoir tout épuisé pour y échapper, après avoir offert au gendre de son maître des conditions qu’il fût odieux et insensé de refuser. En tout cas, il entendait n’agir que de son chef, librement, et sans se laisser entraîner à la remorque des passions qui l’assiégeaient, au dedans comme au dehors de son pays.

« De son côté, M. de Narbonne voyait clair dans les intentions de l’empereur sans en avoir reçu la confidence, il voyait clair dans la position réelle de l’Autriche : aider la France à écraser la Russie, à détruire ce qui restait de la Prusse, c’eût été de la part de la cour de Vienne un suicide ; M. de Narbonne voyait clair enfin dans la tendance et le résultat définitif de la négociation : presser l’Autriche d’intervenir sous couleur de médiation, c’était l’autoriser à lever jusqu’à son dernier homme, à engager son dernier écu, c’était la rendre arbitre des conditions de la paix. Mais d’une part les instructions de M. de Narbonne étaient précises et pressantes ; il ne pouvait ni les négliger, ni les éluder, tout au contraire il recevait à chaque courrier un coup d’aiguillon ; d’autre part, le dirai-je ? il ne voyait guère de chance de paix, si petite qu’elle fût, que dans la route qu’il suivait sans l’avoir choisie : qui sait si l’empereur Napoléon, lorsqu’il se trouverait placé entre des conditions raisonnables, plus que raisonnables, et la crainte d’avoir sur les bras deux cent mille hommes de plus, n’hésiterait pas enfin, s’il ne lui monterait pas en tête un grain de bon sens, un éclair de sagesse ? »

Tels étaient, dans la grande lutte qui recommençait, et la situation réelle et les vrais sentimens des trois principaux acteurs en dehors de la coalition européenne de nouveau en campagne contre l’empereur Napoléon. Je n’ai garde de retracer ici ni les négociations qui, après le congrès de Prague et la visite du prince de Metternich à Dresde, eurent pour résultat l’accession de l’Autriche à la coalition européenne, ni les événemens militaires qui, après les victoires de Lutzen et de Bautzen, aboutirent à la défaite de Leipzig. Malgré son habileté dans l’art tantôt des caresses, tantôt des colères diplomatiques, et sa supériorité dans les combinaisons et les luttes stratégiques, l’empereur Napoléon ne réussit, en 1813, ni à rester, par la paix, le maître de l’Europe, ni à en être, par la guerre, le vainqueur définitif. Plus le temps répandra ses lumières sur