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riche en forêts ; mais depuis un demi-siècle elle exploite ses bois très jeunes, souvent même avant l’âge de cent ans, et déjà elle en arrive à acheter des bois d’œuvre à la France elle-même. L’Autriche met à l’enchère ses forêts, livrées à la hache depuis l’établissement des chemins de fer ; des exploitans étrangers coupent à blanc dans les massifs, naguère inaccessibles, de la Croatie et de l’Esclavonie ; c’est de là que se déverse sur Trieste, après avoir remonté la Save et franchi les Alpes-Juliennes, la plus grande quantité des bois de chêne que l’Europe occidentale emploie à la fabrication des futailles. Ces forêts de chêne et de hêtre, situées en plaine ou sur des coteaux, n’ont point une immense étendue, c’est quelques centaines de mille hectares qu’elles occupent ; elles appartiennent pour la plupart à des particuliers et sont restées jusqu’à présent sans valeur. Il y a cinq ans seulement, l’une de ces magnifiques futaies, formée d’arbres gigantesques, a été vendue à une société d’exploitation au prix minime de 220 francs l’hectare. Ces forêts disparaissent ainsi rapidement dès que le bois sur pied y prend quelque valeur. Les contrées formant en Europe la zone méditerranéenne, l’Espagne, l’Italie, la Grèce, sont à peu près déboisées ; la civilisation romaine y a détruit les forêts, et dans leurs montagnes le roc se montre nu aux lieux que couvrait autrefois une riche végétation. Pour ne donner qu’un exemple de ce déboisement, nous citerons le massif du mont Etna, en Sicile, dont l’histoire est bien connue[1]. L’Etna, que les Romains avaient décoré du titre mérité de nemorosa. portait dans sa zone moyenne une magnifique forêt de 100,000 hectares ; c’étaient des chênes, des châtaigniers, des hêtres, des bouleaux et des pins sylvestres. Les derniers lambeaux de cette verte ceinture disparaissent rapidement, non point surtout, comme on pourrait le croire, sous la lave du volcan, mais bien sous la hache avide des bûcherons et la dent des bestiaux. Cette dévastation a commencé au XVIe siècle, et aujourd’hui la production forestière est à peu près anéantie sur ce sol volcanique, parfaitement et exclusivement apte à cette culture. L’Italie entière, hérissée de montagnes, n’a plus d’ailleurs que 500,000 hectares de forêts délabrées pour ses 25 millions d’habitans. Les plaines de la Russie centrale, dont les forêts sont exploitées de longue date et appauvries par des abus de tout genre, ont d’autant plus besoin de bois d’œuvre qu’elles sont dépourvues de pierres ; l’industrie et les chemins de fer, qui commencent à y pénétrer, menacent de les dépouiller rapidement des arbres qui leur restent. Là non-seulement ils les emploient comme bois d’œuvre, mais souvent même c’est le bois qui sert à chauffer les machines ; ainsi sur le Volga les bateaux à vapeur n’ont pas d’autre moyen de

  1. Voyez la Revue du 1er juillet 1865.