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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/389

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s’occupent de voyages, de sciences naturelles, et produisent des travaux remarquables ; mais la majorité ne rêve que sacrifices et conversions. Leur ardeur est si grande et si compromettante que ; parfois elle effraie les chefs. A bord de l’Achille, un général lazariste me pria de modérer le zèle d’un jeune Lyonnais, garçon intelligent, beau à ravir, mais dont l’idée fixe était de mourir dans les tourmens aussitôt son arrivée en Corée. Tant de dévoûment chez les uns, tant d’habileté chez les autres ont-ils converti les célestes ? Pas le moins du monde. Les tueries continuent, et la civilisation, la foi religieuse, restent stationnaires en Chine, si toutefois elles ne deviennent pas agressives, comme naguère encore. Est-il donc si nécessaire d’entretenir ces dangereuses missions avec un argent plus que jamais précieux ? Si encore les directeurs ignoraient combien les Chinois sont indifférens en matière religieuse, on les excuserait de rester impassibles en présence de ces sanglans sacrifices de leurs jeunes adeptes. Un apôtre moderne fort découragé m’a raconté à Shang-haï même comment les indigènes jouent avec leurs croyances. — Plus d’une fois, me dit-il, un céleste à l’œil éveillé, au sourire presque railleur, soumis, rampant, se présente chez moi pour devenir chrétien catholique. Ravi de me voir en présence d’un sujet si bien disposé, je me mets à l’œuvre ; mais à la fin de chaque instruction mon disciple a le talent de se faire donner soit un chapelet de sapèques (monnaie du pays), soit quelques fortes poignées de riz. Je donne selon mes ressources, croyant trop souvent à une détresse réelle ; mais, comme ces ressources sont restreintes, je finis par refuser, et presque aussitôt mon catéchumène disparaît. Que peut-il être devenu ? Il s’est rendu chez le missionnaire anglais, mon voisin, et lui a manifesté le désir de se faire chrétien protestant. Celui-ci, à son tour, commence l’instruction ; mais, plus pratique que moi, quoique plus riche, il met hors de chez lui par les épaules l’aspirant néophyte dès qu’il a formulé sa première demande d’aumône.

Le Kouang-toung, ce beau fleuve au cours impétueux qu’il faut remonter pour arriver à Canton, ne m’a laissé d’autres souvenirs, je l’avoue avec quelque honte, que celui du confortable déjeuner fait à bord du bateau à vapeur américain sur lequel j’avais pris passage. Les rives sont plates ; les forts du Bogue, détruits par nos canons unis aux canons anglais, sont trop misérables pour intéresser ; le paysage, en un mot, est triste, car c’est à peine si, dans ce parcours de trente lieues, deux ou trois pagodes qui se détachent du sol comme des asperges trop montées rompent la monotonie des collines riveraines. Les cultures en outre sont peignées de manière à faire tomber en extase le plus soigneux des jardiniers hollandais.