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Le combat de Borny ne fut pas la seule cause de nos retards. Tous les témoins oculaires attribuent le ralentissement de notre marche à l’extrême confusion qui régnait sur la route, aux temps d’arrêt qu’occasionnait à chaque instant l’encombrement des bagages, qu’il eût fallu à tout prix simplifier, si l’on eût voulu marcher plus vite. Des colonnes entières attendaient une demi-journée sous un soleil brûlant que le passage fût libre ; une batterie d’artillerie rencontrée à 8 heures du matin se retrouvait à la même place à 3 heures de l’après-midi, sans avoir réussi à faire un pas en avant. Des bataillons mal dirigés, croyant couper au court, se fourvoyaient dans des impasses de la ville de Metz, d’où ils ne pouvaient sortir qu’au bout de plusieurs heures. « C’est l’armée de Darius, » disaient avec un sourire inquiet les officiers les plus intelligens en voyant s’accumuler sur l’unique chemin de Gravelotte les bagages régimentaires, les caissons de munitions, les voitures d’administration, les transports des ambulances, et une quantité de chariots vides qu’on essayait de renvoyer à Metz, mais qu’il eût mieux valu n’en pas laisser sortir. A la vue de tout ce désordre, quelques personnes se demandèrent si le maréchal Bazaine était bien résolu à quitter la forteresse, s’il ne nourrissait point déjà l’arrière-pensée d’y revenir à la moindre difficulté qu’il rencontrerait sur son passage. « Vous voyez combien il est difficile de faire défiler 150,000 hommes à travers une ville et sur une seule route, disait le commandant d’un de nos corps d’armée à un officier d’état-major en lui montrant cette cohue. — Peut-être n’est-ce là qu’une démonstration, répondit finement l’officier ; peut-être le maréchal n’a-t-il aucune envie sérieuse de sortir de Metz. »

Celui qui parlait ainsi appréciait trop bien le caractère du commandant en chef pour ne pas entrevoir une partie de la vérité. Le maréchal Bazaine, en effet, dont tout le monde connaît le remarquable sang-froid sur le champ de bataille, doit peut-être une partie de son calme à la prudente réserve avec laquelle il évite les résolutions définitives. Mêlant le calcul à toutes choses, il ne s’engage que le moins qu’il le peut, il incline plutôt à attendre les événemens pour s’en servir qu’à les brusquer par des coups hardis. Un peu lent d’ailleurs dans ses allures, ayant peu de goût aujourd’hui pour l’activité physique, il se presse rarement d’agir. On dirait qu’il craint à la fois de se tromper et de prendre trop de peine. On l’a beaucoup et justement accusé de temporiser dans la seconde partie du blocus de Metz. Cette temporisation date de plus loin, du moment même où il fut investi du commandement en chef. Ce n’est pas, comme on le croit d’ordinaire, un accident, le résultat des circonstances ; c’est le trait principal du caractère. Au Mexique, ses lieutenans ne recevaient guère un ordre de lui sans attendre un