Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/415

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contre-ordre qui d’ordinaire ne tardait point. Dès le 14 août, tout en faisant ses préparatifs pour quitter Metz, il n’était pas aussi décidé qu’il le paraissait, il voulait et ne voulait pas s’éloigner, suivant le tour que prendraient les événemens. De là l’espèce d’indifférence tranquille avec laquelle il voyait les colonnes françaises se dérouler lentement sur la route de Verdun, sans les presser, sans hâter leur marche. Un Pélissier ou un Bosquet eût ordonné que l’on marchât plus vite, et fait au besoin quelques exemples parmi les retardataires. Le maréchal Bazaine au contraire acceptait ces retards avec philosophie. Valait-il mieux gagner Verdun, valait-il mieux se replier sur Metz ? Il n’en savait rien encore ; il n’était pas fâché qu’on lui laissât le temps de le deviner. Quelques témoins de sa conduite supposent même qu’après s’être débarrassé de la présence de l’empereur, il ne se souciait pas de retrouver tout de suite un voisinage si gênant. Savait-on si l’empereur ne serait pas tenté de reprendre le commandement de l’armée ? Rejoindre le maréchal de Mac-Mahon, n’était-ce pas courir au-devant d’un général plus ancien auquel il faudrait peut-être obéir ?

Nul ne saura jamais dans quelle mesure ces raisons différentes influèrent sur les projets du maréchal Bazaine. Ce que l’on peut affirmer seulement, c’est qu’il ne prit à aucun moment la résolution définitive de s’éloigner de Metz. S’il l’avait voulu, énergiquement voulu, il ne se serait pas trouvé à la fin de la journée du 16 sans munitions, sans vivres, dans la nécessité de suspendre son mouvement pour se ravitailler, ainsi qu’il l’écrivait le soir même au ministre de la guerre. C’est là un des faits les plus caractéristiques de cette campagne, un de ceux qui prouvent le mieux l’indécision du commandant en chef de notre armée du Rhin. S’expliquera-t-on jamais par d’autres raisons que des calculs secrets qui tiennent aux mobiles les plus mystérieux du cœur humain une telle imprévoyance ? Comment la journée qui avait été perdue par le combat de Borny n’avait-elle pas du moins servi à augmenter les ressources de l’armée ? Comment subissait-on le dommage causé par ce retard sans le compenser par quelque profit ? Si l’on prenait si mal ses mesures à 20 kilomètres d’une base d’opérations aussi solide que Metz, qu’aurait-on fait à la place des Allemands, si éloignés de leur frontière, si agiles néanmoins et si peu embarrassés de marcher en avant ? On aurait été certainement plus actif et plus prévoyant, si l’on avait quitté Metz sans esprit de retour, avec la résolution arrêtée de se porter sur Verdun.

Le même défaut de décision paralysa en partie les qualités militaires que le maréchal Bazaine déploya sur le champ de bataille de Rezonville. Tous ceux qui le virent au feu admirèrent le sang-froid avec lequel il prit ses dispositions ; il ne parut pas même ému