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leurs troupes, accomplissaient un mouvement tournant qui, commencé vers midi, devait aboutir à six heures du soir, et qu’il eût dépendu du général en chef de l’armée française de deviner peut-être, d’arrêter à coup sûr, s’il avait pris la peine de visiter son champ de bataille. C’était vers notre aile droite que se portait de Mars-la-Tour le 12e corps prussien, composé des Saxons, chargé de tourner par Roncourt les troupes du maréchal Canrobert, établies à Saint-Privat. La garde royale, arrivée avant les Saxons en face de notre 6e corps, que ne soutenait aucune réserve, engagea d’abord un formidable combat d’artillerie, et dirigea sur nos positions les feux combinés de 200 pièces de canon. Nos soldats résistèrent à cette attaque avec la plus grande énergie, et lorsque vers cinq heures, espérant en finir avant que le 12e corps fût entré en ligne, le prince de Wurtemberg envoya ses colonnes à l’assaut des hauteurs de Saint-Privat, il fut repoussé avec de telles pertes qu’il ordonna la retraite et résolut d’attendre, pour tenter un nouvel effort, le résultat du mouvement méthodique qu’opéraient les Saxons. Il était six heures ; nous nous maintenions sur toute la ligne et n’avions laissé entamer aucune de nos positions ; mais à ce moment l’intrépide maréchal Canrobert, attaqué au nord par 30,000 hommes de troupes fraîches, à l’ouest et au sud par un retour offensif de la garde royale et par l’artillerie du 10e corps prussien, ayant brûlé sa dernière cartouche et manquant de poudre pour ses canons, fut obligé d’évacuer le village de Saint-Privat, laissant à découvert le 4e corps, qui, ce jour-là comme à Borny et à Rezonville, se battit héroïquement, mit hors de combat 15 pièces ennemies, en prit 7 et en ramena 2. Si, à cette heure décisive, les huit régimens d’infanterie de la garde, au lieu d’être retenus l’arme au pied et inutilisés loin du champ de bataille à Châtel-Saint-Germain, au col de Lessy, sur le plateau de Plappeville, eussent été à portée de Saint-Privat et d’Amanvillers, jamais les 130,000 Allemands qu’avaient devant eux les 50,000 soldats du général de Ladmirault et du maréchal Canrobert n’eussent emporté ces fortes positions. Il eût suffi d’une division, peut-être même d’une brigade envoyée à temps sur Roncourt pour arrêter la marche des Saxons et assurer la droite du 6e corps, si menacée. On eût remporté alors une incontestable victoire ; 140,000 Français auraient eu l’honneur de repousser sur tous les points 240,000 Prussiens. Le courage des troupes, la fermeté des chefs de corps, méritaient cette récompense. Seul, le maréchal Bazaine encourt la responsabilité de la défaite et de l’épouvantable panique qui précipita sur la route de Saulny des milliers de voitures, de convoyeurs, de fuyards effarés apportant jusque dans Metz la nouvelle et l’effroi du désastre.

Rien n’eût été perdu néanmoins, si l’énergie des jours suivans