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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/425

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déploiera inutilement le plus brillant courage ; mais aucun résultat sérieux ne sera obtenu ni même poursuivi ; il ne se fera, il ne se tentera rien de grand. Les habitans de Metz assisteront impuissans à l’agonie de l’armée, qui, en s’immobilisant sous leurs murs, les entraîne dans sa ruine. Ils verront avec désespoir les vainqueurs de Borny et de Rezonville, 140,000 soldats d’élite, les meilleurs qu’eut la France, auxquels rien n’aurait résisté s’ils s’étaient portés tous ensemble du même côté des lignes d’investissement, séparés de leur pays, bloqués et affamés pendant deux mois par 200,000 ennemis, sans essayer une seule fois de forcer sur un point le cercle qui les enveloppe. Après les sanglantes batailles du commencement de la campagne, qui se serait attendu à cette longue immobilité ? Comment les mêmes hommes qui le 16 août poussaient l’épée dans les reins et rejetaient sur la route de Verdun l’aile gauche de l’armée prussienne, qui le 18, d’Amanvillers à Saint-Privat, attaqués par 200 pièces de canon, chargés par la garde royale, se battaient un contre trois en disputant le terrain pied à pied, souffraient-ils aujourd’hui qu’un adversaire disséminé sur 12 lieues de circonférence, obligé de n’abandonner aucune partie de cet immense espace, incapable de leur opposer, à l’endroit où on l’attaquerait, des forces égales aux nôtres, leur fermât tous les chemins et les réduisît par la famine à mettre bas les armes ? Si cette noble armée avait prévu dès l’origine le sort que lui réservait son chef, aucun sacrifice ne lui eût coûté pour s’y soustraire ; elle eût demandé le 2 septembre à recommencer les combats des jours précédens, elle eût préféré tous les genres de péril aux angoisses de la faim, à l’ignominie de la capitulation. Le maréchal Bazaine ne se doutait pas lui-même du tour que prendraient les événemens ; il espérait mieux du temps, des circonstances, de son habileté ; eût-il abdiqué si tôt son rôle de soldat, s’il avait pressenti dès lors le triste succès de sa politique ?

Malheureusement pour la France la double nouvelle du désastre de Sedan et de la proclamation de la république à Paris fit tomber les armes de ses mains. Déjà découragé de la lutte, effrayé de combattre un ennemi qu’il savait habile et dont il s’exagérait la force, plein de doute sur la capacité militaire et sur l’activité de deux de ses chefs de corps, il retomba dans une inaction où son tempérament et ses calculs trouvaient également leur compte. Il trompait en attendant l’impatience de ses soldats, d’abord par la perspective d’une action prochaine et décisive, plus tard par l’annonce d’une convention militaire qui assurerait le libre départ de l’armée. Les jours s’écoulaient néanmoins, et avec le temps s’épuisaient les vivres nécessaires à un si grand nombre d’hommes. La viande de