Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/427

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La noble ambition de sauver son pays et d’illustrer son nom par une lutte désespérée ne tentait pas son âme indifférente. Au moment où l’on attendait de lui quelques élans d’ardeur généreuse, où son armée impatiente ne demandait qu’à le suivre dans une succession de batailles, il prescrivait modestement d’enlever à l’ennemi quelques gerbes de paille ou quelques bottes de fourrage qu’on eût dû ramener au camp cinq semaines plus tôt. C’est à des opérations de ce genre qu’il borne désormais l’activité de son armée ; il les énumère avec complaisance dans son rapport, comme pour se justifier du reproche d’inaction. Les chiffres des hommes mis hors de combat dans chaque affaire donnent une idée de leur peu d’importance. A Lauvallier, le 22 septembre, nous n’avions que 3 morts et 32 blessés. L’opération inutilement tentée le lendemain sur Vany et Chieulles, que nous avions eus entre nos mains le 31 août, sans en ramener une gerbe de blé, nous coûte 6 morts dont 1 officier. A Mercy et à Peltre, 44 hommes sont tués, 320 blessés, 19 disparaissent ; à Lessy, 9 morts et 66 blessés restent sur le champ de bataille. L’enlèvement du château de Ladonchamps nous fait perdre 16 hommes ; on rapporte ce jour-là 80 blessés. Après ces insignifiantes escarmouches, la seule opération qui parut entreprise avec quelque vigueur, quoique sans but apparent, eut lieu le 7 octobre, dans la plaine de la Moselle, autour des villages de Saint-Remy et de Bellevue. Comme toujours, les troupes enlevèrent vaillamment sous une pluie d’obus toutes les positions qu’elles attaquèrent, et, une fois qu’elles les eurent enlevées, reçurent l’ordre de se replier. Ce fut le dernier soupir de l’armée de Metz, soupir héroïque qui attesta de nouveau tout ce que les soldats avaient conservé de valeur, quoique leurs souffrances eussent déjà commencé. Même alors, quand la ration de pain diminuait, quand personne ne mangeait plus à sa faim, un général audacieux eût accompli des prodiges avec de tels hommes. Leur bravoure, leur énergie, leur désir d’en venir aux mains, restaient les mêmes. Si le maréchal Bazaine eût voulu se servir de leur courage, il eût retrouvé jusqu’à cette date les intrépides combattans de Rezonville et de Borny ; 11 officiers, 90 soldats payèrent de leur vie cette dernière journée de gloire stérile, plus de 1,000 blessés gisaient autour d’eux.

On accusa le maréchal d’avoir engagé ces braves troupes et fait verser tout ce sang pour répondre aux reproches des habitans de Metz, qu’indignait son inaction. C’était en effet une démonstration bien nombreuse pour un simple fourrage, qui ne put même pas aboutir. L’opinion publique demandait des opérations d’un autre genre, d’un caractère plus sérieux et plus décisif. Rien de ce qu’on souhaitait, de ce qu’exigeait la situation, ne se fit. Le commandant en