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d’y retenir l’armée qu’à la condition absolue que l’armée ne toucherait à aucune des réserves de la défense. Le maréchal fit peut-être sagement, on l’a vu, de se maintenir autour de Metz jusqu’au commencement de septembre, afin de laisser la forteresse compléter ses ouvrages extérieurs et l’armée du prince royal s’éloigner de la Lorraine dans la direction de Paris. Assuré dès lors de ne rencontrer hors de la ligne d’investissement aucune résistance inexpugnable, disposant de 160,000 hommes concentrés contre 200,000 ennemis disséminés sur un vaste espace, il pouvait entreprendre sans retard une série d’opérations vigoureuses et détruire en détail ses adversaires. La première et la plus utile de toutes ces entreprises était évidemment de se ravitailler chaque jour, d’explorer par conséquent un très vaste terrain, et d’employer la cavalerie à d’actives recherches de vivres. Si on avait commis la faute de se resserrer trop tôt, de se pelotonner entre les forts et l’enceinte dans un premier moment de panique[1], il fallait quitter peu à peu cet espace restreint, reconquérir peu à peu les positions abandonnées, fût-ce au prix de nombreux combats, et rejeter l’ennemi en arrière en prenant enfin l’offensive, au lieu de se borner toujours à attendre ses attaques. Quoiqu’on fît d’ailleurs, il fallait partir de ce principe, que l’armée devait se suffire sans rien emprunter aux magasins de la garnison, aux approvisionnemens de la ville. Cette précaution paraissait d’autant plus nécessaire que les besoins énormes des soldats menaçaient d’épuiser très vite les ressources des habitans. L’armée, consommant beaucoup plus que la place, ne diminuerait-elle pas dans une proportion redoutable les vivres de celle-ci ? Les vivres étant des armes dans une ville investie, n’y avait-il pas un danger évident à lui retirer quoi que ce soit de ses moyens de défense ? Un général pénétré de la nécessité impérieuse de conserver Metz au pays n’eût pas hésité à quitter la place le jour où il se serait vu forcé de vivre à ses dépens.

Au lieu de cela que fit-on ? L’armée resta, ne s’approvisionna pas au dehors et affama la ville. Une population normale de 48,000 âmes, augmentée de 20,000 paysans réfugiés, qu’eût suffisamment défendue une garnison de 20,000 soldats, se trouva portée tout à coup par le séjour persistant de l’armée au chiffre formidable de 240,000 têtes. Pendant soixante-douze jours, suivant le général Coffinières, cette masse d’hommes consomma autant de vivres que les habitans et la garnison en eussent consommé pendant six mois de siège. D’après ce calcul, la forteresse, que la faim livrait à l’ennemi le 28 octobre, eût pu tenir jusqu’au mois de février, jusqu’après la

  1. Un officier, auquel on prescrivait d’étudier des emplacemens de panique pour le cas où les troupes seraient surprises par l’ennemi, répondit spirituellement que l’armée les occupait déjà tous.