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et Joseph prit les devans pour faire préparer un grand feu. Il ne s’aperçut pas qu’à l’entrée du village Marguerite rencontra le facteur qui venait de retirer les lettres de la boîte pour les porter à Genève, et qu’elle lui remit furtivement celle qu’elle avait écrite le matin.

La veille, Joseph, n’ayant pas trouvé de chambre vacante à l’auberge, s’était adressé à un vieux paysan, propriétaire d’une maison fort honnête dont il louait deux pièces pendant l’été à des citadins en villégiature. Vu la saison, les pensionnaires n’étaient pas encore là, et Joseph avait retenu les deux pièces, contant au bonhomme qu’il venait de se marier, que sa femme était allée voir une parente en Savoie, qu’elle le rejoindrait au premier jour, qu’il entendait avoir sa lune de miel comme les messieurs, et, ses moyens le lui permettant, la passer au village en laissant dormir ses outils.

Au moment où Marguerite parut sur le seuil, leur hôte jetait dans l’âtre une brassée de sarmens. Comme il était familier : — Tudieu ! le beau brin de fille ! s’écria-t-il, — et il ajouta en attirant deux chaises devant la cheminée : — Arrivez vite, les deux amoureux, et séchez-vous. — À ce mot d’amoureux, Marguerite fronça le sourcil ; il est des heures où les fausses notes déchirent l’oreille. Elle redevint nerveuse et un peu cruelle.

Le vieillard, bien qu’il n’y vît pas très clair, fut frappé de la blancheur de ses mains. — Garçon, demanda-t-il à Joseph, où donc as-tu péché cette demoiselle ? Voilà des menottes qui n’ont jamais touché la queue d’une poêle.

— Ah ! vous croyez ? dit-elle. Vite des œufs. Je veux vous faire manger une omelette aux fines herbes.

Il la prit au mot. Elle hacha menu son persil, battit ses œufs dans une terrine, fit fondre son beurre dans la poêle. L’omelette fut prête en un tour de main, et par miracle se trouva bonne. Pendant le souper, Marguerite ne déparlait pas ; elle vantait au villageois ses talens de ménagère, lui expliquait comment elle tiendrait sa maison, lui décrivant cette maison, ses meubles, sa vaisselle. Il lui tardait de s’y voir ; la vie est si charmante quand on s’aime ! Les dimanches, les jours de fête, quelles parties de campagne ! quels dîners sur l’herbe ! Ou partirait à l’aube, on s’en irait manger de la crème dans les chalets, et le soir on rentrerait chez soi les jambes lasses, mais l’âme contente, le cœur léger, heureux de vivre.

— Combien de temps cela durera-t-il ? lui demandait le paysan. Jeunesse passe vite.

— La mienne ne mourra pas avant moi, lui répondait-elle.

En ce moment, un oiseau chanta. — Un rossignol ! s’écria-t-elle en tressaillant. Le vieillard se mit à rire, et lui représenta que les