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rossignols n’arrivent pas avant le milieu de mai. Elle soutint vivement son dire, et, comme il s’obstinait, elle se fâcha.

— Je soutiendrai jusqu’à mon dernier jour, lui répliqua-t-elle, que j’ai entendu aujourd’hui le rossignol.

Joseph, la tête appuyée sur le dossier de sa chaise, semblait absent de ce monde et se taisait. Son silence était un abîme où les paroles de Marguerite tombaient une à une comme des pierres dont on entend la chute au fond d’un gouffre.

Elle se leva, et la frappant de la main sur l’épaule : — C’est l’heure, lui dit-elle, montons.

Il se dressa sur ses pieds tout d’une pièce, prit une bougie et monta. On eût dit une statue qui marche. Avant de le suivre, se retournant vers leur hôte : — Nous sommes deux fous, lui cria-t-elle, qui vous donneront peut-être bien des ennuis ; je veux vous en consoler d’avance.

Et, s’approchant de lui, elle lui mit dans la main trois pièces d’or. Il la regarda d’un air ébahi ; mais il trouva les pièces d’or bonnes à prendre, et il les prit.

Quand elle fut montée, Joseph, qui venait de poser la bougie sur la table, se laissa tout à coup tomber à terre comme un corps mort. Il resta longtemps étendu, mordant ses mains et suffoqué par ses sanglots. Elle s’assit sur une chaise en face de lui ; elle cherchait à le consoler, elle le grondait. Il criait grâce ; ce n’était plus des années qu’il lui demandait, il mendiait des jours, des heures, des minutes. Alors elle lui dit le grand mot, qu’elle avait écrit deux lettres. — Demain un homme et peut-être deux viendront me chercher. Je veux qu’ils me trouvent morte et déjà froide.

À cette terrible nouvelle, il se leva sur ses genoux. Une abondante sueur ruisselait le long de ses joues, sa bouche se tordait, son agonie se peignait sur son front. — Après tout, lui disait-elle, le malheur est-il si grand ? Tenez pour certain que vous n’auriez pas trouvé votre compte avec moi. Vous avez la tête très romanesque, mon pauvre ami, et je le suis si peu ! Les grandes passions, les sentimens exaltés ne sont pas faits pour moi. Quand vous me parliez tantôt de votre amour, je vous l’ai dit, j’avais peine à vous comprendre. J’aimais beaucoup de choses sur cette terre ; mais je n’ai jamais rien adoré, et je ne me crois pas adorable. Je ne suis, voyez-vous, qu’une pauvre âme très tranquille et très ordinaire, et, je vous le répète cette fois sans colère, très bourgeoise, qui était née pour vivre à peu près comme tout le monde, loin des orages et des événemens. Les orages sont venus et m’ont brisée, et il m’a pris une inguérissable horreur de vivre. Un peu de bon sens et beaucoup de gaîté, voilà ce qu’était Marguerite Mirion. Qu’en reste-t-il aujourd’hui ?… J’ai tant souffert que ce qu’il y avait de