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ne se constitue pas outre mesure moralisateur par l’impôt en faisant payer ce produit plusieurs fois sa valeur, augmentation qui ne paraît avoir découragé personne. On ne peut vouloir pourtant qu’il fasse complètement abstraction de l’utilité morale non plus que de la question d’hygiène ; cela suffit pour lui ôter tout scrupule, et lui sert jusqu’à un certain point d’encouragement. Peut-être pourrait-on ajouter, si on ne craignait de se brouiller avec trop de gens, que cette consommation de luxe, la moins digne d’intérêt au point de vue esthétique, est aussi une des plus égoïstes, puisque les jouissances qu’elle procure, au lieu d’avoir le caractère communicatif qu’on peut alléguer en faveur d’autres dépenses de luxe dont la foule jouit gratuitement, ont pour conséquence l’incommodité et, pour ainsi dire, l’oppression de ceux qui se l’interdisent. En surtaxant le tabac, la démocratie ne peut se plaindre qu’on trahisse ses intérêts. Elle ne peut voir de mauvais œil ce monopole, qui depuis 1810, année où il fut rétabli après avoir été remplacé en 1791 par un droit de douane beaucoup moins fructueux, permet à l’état d’entreprendre des travaux productifs et de ne pas peser par de nouvel les taxes sur des produits ou des services utiles à tous, que pourtant le budget a frappés d’un surcroît de droits, quelques-uns très regrettables. Tous ces impôts sont au fond des impôts sur le travail ; l’impôt sur le tabac serait plutôt un impôt sur l’oisiveté. Bien qu’exercé sous la forme de monopole, et quoique la recette contienne près de quatre fois et demie la dépense, ou ne peut dire que cet impôt soit lourd pour les consommateurs français. En Angleterre, où le tabac est imposé par la voie de la douane, la taxe appliquée aux tabacs en feuille s’élève à 8 francs 27 centimes le kilogramme. « Cette taxe, lit-on dans un rapport sur la situation de l’empire publié il y a quelques années, fait peser sur le consommateur anglais une charge assurément bien plus considérable que le prix de 10 francs par kilogramme, qui en France comprend, outre l’impôt dû à l’état, le prix de la matière première, les frais de transport et de fabrication, et le bénéfice du débitant. » Ce motif, invoqué pour justifier en 1861 l’augmentation du prix des tabacs, n’a pas perdu sa valeur. Le mouvement ascendant de cette consommation est de nature à prouver que l’augmentation du prix agit avec moins de force que l’habitude. Diminuât-elle dans une certaine mesure, qu’importe, si le trésor avait chance de trouver encore son avantage dans une augmentation de prix à consommation égale ? Une taxe progressive sur les cigares de luxe n’a rien certes qui blesse les principes. C’est le revenu qu’elle frappe avec chance de l’atteindre proportionnellement. Élever le prix de cette fantaisie et payer ainsi, ne fût-ce qu’une parcelle de l’indemnité énorme qui nous est imposée, ne saurait choquer les