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rapporteur, M. Lélut, a effacé le plus possible le caractère d’impôt de luxe, bien évident pourtant, derrière deux considérations d’ailleurs valables et développées avec beaucoup de force : la concurrence que près de quatre millions de chiens font à la nourriture de l’homme, et la rage. Diminuer le nombre, qui coûte environ 80 millions de francs à nourrir, et réduire de moitié peut-être les chances de l’horrible fléau, tel est le point de vue auquel s’est placé le savant médecin. Plusieurs autres pays ont dès longtemps adopté cet impôt comme pur impôt de luxe, et les circonstances ne permettent pas de sacrifier les 5 ou 6 millions qu’il rapporte.

Le nouveau budget voté par l’assemblée nationale surimpose les liqueurs et les consommations alcooliques. C’est là le luxe populaire et un mauvais luxe. Il faut faire fléchir ici en une certaine mesure le principe que l’état ne doit pas se constituer le juge des consommations privées au point de les attaquer de front par l’impôt. Pour le tabac j’ai dit seulement qu’il ne devait pas redouter une certaine diminution d’une habitude poussée jusqu’à l’abus, sans nier qu’il excéderait certainement son droit, s’il allait jusqu’à prendre cette habitude corps à corps. Pourquoi ? Parce que le caractère nuisible de cette consommation s’arrête dans certaines limites. Il n’en serait pas de même pour l’opium, si notre race se mettait à s’empoisonner avec cette substance. C’est un de ces cas in extremis où la liberté individuelle cède devant les règles supérieures de morale et d’hygiène, et où commande le salut public. Ce que je dis de l’opium, il faut le dire jusqu’à un certain point de l’absinthe et des autres alcooliques. L’ivrognerie a de terribles comptes à rendre dans les derniers événemens de l’année qui vient de s’écouler. C’est un de ces vices s’étalant en public qui ne sauraient arguer de la liberté du foyer. Que l’impôt préventif s’ajoute à l’amende répressive, il n’y aura rien à redire, et les augmentations qui, dans le nouveau budget, atteignent l’alcool, l’absinthe et d’autres liquides analogues, sont d’autant mieux légitimées qu’elles frappent non plus seulement un plaisir, mais dans bien des cas un vice nuisible au pays comme à ceux qui s’y livrent. Les consommateurs modérés acquitteront sans beaucoup s’en apercevoir une surtaxe qui ne pèse pas trop sur les faibles quantités, quoique l’augmentation en soit assez marquée pour constituer une accroissement de revenu. Par l’article 27, le droit de consommation par hectolitre d’alcool pur contenu dans les eaux-de-vie et esprits en cercles, par hectolitre d’eaux-de-vie et esprits en bouteilles, de liqueurs et absinthes en cercles ou en bouteilles et de fruits à l’eau-de-vie, est fixé à 125 francs en principal. Sur d’autres articles, les divers alcools paient 30 francs par hectolitre, les liqueurs 35 francs. Il ne faut pas séparer de ces droits ceux qui