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possèdent un autre de femmes à Kalafer. Le consul russe assiste régulièrement aux offices du dimanche à l’église bulgare ; c’est dans cette église que se célèbrent le Te Deum annuel en l’honneur de l’empereur Alexandre et toutes les fêtes de la famille impériale. La protection moscovite, comme on le voit, est très ostensible ; les Bulgares n’ont pas auprès du grand-vizir de défenseur plus habile que l’ambassadeur de toutes les Russies. Ce sont là des faits dont les Grecs ont raison de montrer l’importance dans leurs brochures adressées à l’Europe ; toutefois il serait juste de leur part de reconnaître ce qu’ont de légitime les réclamations des Bulgares, et d’aider eux-mêmes cette nouvelle église à se constituer, sans qu’elle soit tentée d’en appeler aux secours d’une puissance étrangère. Rien ne peut être plus funeste aux communautés chrétiennes en Orient que ces haines qui les divisent, que ces luttes qui les affaiblissent en présence des Osmanlis et des protecteurs dangereux du dehors.

On a fait grand bruit en Europe d’un soulèvement de Bulgares dans l’Hémus et sur le Danube ; les manifestes imprimés en Roumanie ont été reproduits par nos journaux et suivis de nouvelles tout à fait étranges qui ont fait croire en 1868 à une insurrection. Il faut réduire cette révolte à d’assez médiocres proportions. A peine s’est-il formé dans le pays quelques bandes, composées pour la plupart d’étrangers ; elles n’ont jamais sérieusement inquiété ni la Porte ni la province. Les signes du réveil en Bulgarie, ce ne sont pas ces tentatives d’insurrection, qui ont si peu d’importance et auxquelles le pays ne s’associe pas ; c’est ce mouvement des écoles dont l’Europe parle peu ; ce sont les efforts du clergé bulgare pour conquérir son indépendance. Avant de revendiquer leur liberté contre les pachas, les Bulgares savent qu’ils ont un premier ennemi à surmonter, l’ignorance, qu’ils doivent se soustraire à une première domination beaucoup trop absolue, celle du patriarche de Constantinople. On peut refuser à ce peuple une vive intelligence ; dans la manière dont il a entrepris l’œuvre de son émancipation, il a fait preuve d’un mérite bien rare chez les chrétiens d’Orient : il a eu autant de sagesse que de bon sens.


II

Les chants populaires sont jusqu’ici la seule littérature qu’aient produite les Bulgares. Un certain nombre ont été publiés à Pesth, à Moscou, à Belgrade[1] ; combien se répètent tous les jours au son

  1. Mme Dora d’Istria a étudié les légendes slaves qui inspirent ces chants ; elle a montré comment les Bulgares essaient de peindre la vie pastorale. Voyez la Revue du 15 juillet 1868.