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république médicale rappelle ces sociétés, ces familles du monde païen où on se transmettait de vieilles recettes de génération en génération, et qui avaient le privilège d’exercer la médecine. Le fameux Machaon, fils d’Esculape, était né dans le Pinde, non loin du canton de Zagori, Chiron dans le Pélion, qui est à deux journées du Pinde. Peut-être les kaloiatroi de l’Épire sont-ils les obscurs descendans des antiques Asclépiades[1]. Du moins font-ils comprendre ce que devaient être souvent aux origines de la civilisation grecque les prêtres du culte d’Esculape.

La facilité avec laquelle les Grecs voyagent dans toute la Turquie surprend les Occidentaux. Pour assister à une panégyrie, à une fête nationale, un Grec d’Épire fixé en Bulgarie traverse le Rhodope, descend en Macédoine et arrive chez lui. L’aller et le retour lui prennent un mois ; quelques-uns font des courses beaucoup plus longues. On cite plusieurs Philippopolitains établis aujourd’hui à Calcutta. Ces grands voyageurs laissent leurs familles sans nouvelles durant plusieurs années ; un jour on apprend qu’ils sont morts aux Indes, qu’ils ont légué leur fortune à l’église de leur village, à l’école. Si loin qu’aille un Grec, il n’oublie jamais son pays. L’université d’Athènes le sait bien, elle a reçu des offrandes de toutes les parties du monde ; le plus modeste, mais non le moins touchant de ces dons, est celui que vient de lui faire une pauvre servante morte dernièrement sur les bords du Gange. Les Grecs isolés dans toute la Turquie forment une véritable franc-maçonnerie. C’est une bonne fortune pour un Européen que de s’adresser à eux. Ils connaissent mieux le pays que les habitans eux-mêmes ; ils ont du reste une curiosité qui leur fait tout remarquer, une souplesse d’esprit qui assure vite leur influence. Il leur est facile avec de si rares qualités de se faire respecter ; puis comment un village se passerait-il d’eux ? Il ne faut pas les comparer aux Juifs ; autant le Juif est renfermé et s’isole, autant le Grec est ouvert. A peine au milieu de ses hôtes, il n’est plus un étranger. On peut ajouter qu’il n’a nulle rapacité ; il aime le commerce, il aime à combiner une affaire, mais il semble que le plaisir de vaincre les difficultés, de tout arranger pour un complet succès, l’emporte à ses yeux sur l’attrait du bénéfice. Je ne sais ce qui a pu faire dire que les Grecs aimaient l’argent : peut-être est-ce l’art avec lequel ils savent le gagner, mais du moins

  1. Les historiens de la médecine grecque devraient étudier les formules de ces empiriques. M. Reinhold, dans sa récente édition d’Hippocrate, a montré que beaucoup des recettes recueillies par l’école de Cos se retrouvent encore aujourd’hui dans le Péloponèse et dans quelques autres parties de la Grèce. On peut voir du reste sur les kaloiatroi du Zagori les chapitres de Pouqueville consacrés à l’Épire, et les remarques sur le culte d’Esculape en Argolide, dans les Études de mythologie d’Athènes à Argos, de M. A. Bertrand.