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personne ne peut nier qu’ils le dépensent avec une complète prodigalité.

La province de Philippopolis compte trois communautés grecques importantes, celle du chef-lieu, celle de Stenimacho, celle de Tatar-Bazarjik. Les Grecs de Philippopolis ont un musée où l’on recueille précieusement toutes les antiquités qui se trouvent encore dans le pays ; leur bibliothèque contient non-seulement les classiques, mais nombre d’ouvrages modernes ; ils donnent des bals où on danse au piano, ils font venir de Vienne les modes les plus récentes. Plusieurs d’entre eux parlent assez bien le français. Quelques-uns écrivent dans les journaux d’Athènes, envoient des articles à la Pandore, et même impriment des ouvrages, comme M. Tzoucala, qui a publié dernièrement une description de la province de Philippopolis. La communauté de Tatar-Bazarjik, bien que beaucoup moins importante, présente les mêmes caractères. Celle de Stenimacho, perdue dans une vallée du Rhodope, à un jour au sud de Philippopolis, est peut-être la plus intéressante des trois.

La ville compte 15,000 habitans ; ni les Turcs ni les Bulgares n’ont pu s’y établir. Elle possède non-seulement des ruines byzantines nombreuses, restes d’une ancienne puissance florissante, mais une foule de bas-reliefs antiques qui remontent au moins au IIe siècle de notre ère. Les géographes anciens, si insuffisans d’ailleurs quand on veut étudier ces contrées, ne nous ont conservé aucun nom qu’on puisse donner à cette ville, qui, d’après une inscription très mutilée, serait une colonie de l’île d’Eubée. Cette communauté hellénique a conservé un dialecte particulier où on trouve plus de deux cents mots qui ont disparu du romaïque ordinaire ; bien qu’ils ne soient en usage ni en Grèce ni même à Philippopolis, ils se rattachent par l’étymologie à la langue grecque classique. Il y a quelques années, on entendait encore dans ce pays des chansons populaires qui se transmettaient de mémoire ; de jour en jour plus rares, bientôt elles seront toutes oubliées. Les poésies grecques récentes, reproduites par les journaux ou recueillies en petits volumes, — poésies en général très médiocres, — sont apportées par les colporteurs dans cette vallée ; on les répète, elles ont la vogue, et cependant les tragoudia d’autrefois disparaissent. La ville de Stenimacho partage les passions de la Grèce moderne ; elle a toujours été connue par son philhellénisme. Lors de la dernière guerre de Crète, elle a envoyé dans l’île soixante de ses jeunes gens, qui sont partis à pied et à l’aventure pour aller, au milieu de mille obstacles, gagner ce champ de luttes si lointain. Aujourd’hui Stenimacho entretient à l’université d’Athènes dix élèves ; elle en compte trois en France et deux à Vienne. Ces étudians ont du reste, parmi leurs devanciers, des modèles qu’ils peuvent imiter. Anastasiadis