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tard, Louis XIII pendant quelques années supprima le droit annuel et par conséquent l’hérédité ; voici quel fut le fruit de cette mesure si équitable en apparence. « Un certain nombre de charges revinrent à la couronne au décès des titulaires ; ces charges furent données presque toutes à des gens d’armes et à des valets de chambre qui les revendaient ensuite à leur fantaisie. On vit enfoncer les portes des magistrats malades afin de savoir le moment du décès ou l’espérance qu’on en pouvait prendre[1]. » C’est que, si nous voyons aisément les défauts de l’hérédité des charges, il faudrait essayer aussi d’entrevoir quels eussent été les défauts du système contraire. Il faudrait nous représenter cette monarchie absolue qui eût disposé sans règle de tous les emplois, distribuant les charges de finance aux plus avides, les charges de juge aux plus intrigans. Il faudrait nous figurer, vis-à-vis de ce pouvoir qui eût été maître de tout, la foule des solliciteurs qui eût demandé tout. Il faudrait voir ces milliers de fortunes et d’existences qui eussent été suspendues à la parole d’un roi, d’un ministre, d’un favori subalterne, d’une favorite ou d’un valet de chambre. La vénalité et l’hérédité des charges pouvaient être fort mauvaises, mais sans elles on aurait eu quelque chose de pis. C’est peut-être à elles que l’on doit que la société française ne soit pas tombée jusqu’aux derniers degrés de l’intrigue et de la courtisanerie. Richelieu a dit : « Au lieu que la suppression de l’hérédité des offices devrait ouvrir la porte à la vertu, elle l’ouvrirait aux brigues et aux factions[2]. » L’hérédité des charges eut encore un autre mérite. En privant la royauté de la nomination à la plupart des emplois, elle la préserva des compétitions, des plaintes, des rancunes et des mécontentemens que la poursuite des places ne manque jamais d’engendrer contre ceux qui en disposent. Songeons que le nombre des solliciteurs dans l’ancien régime était encore plus grand qu’il n’est aujourd’hui, et calculons par là toutes les récriminations et toutes les haines qui se fussent accumulées contre la royauté. Si l’on observe toutes les causes qui ont amené dans notre siècle l’instabilité de tous nos gouvernemens, on verra que l’une d’elles, et non la moins forte, est que le pouvoir dispose de toutes les places. La stabilité de l’ancienne royauté tient peut-être en grande partie à ce qu’elle n’en disposait pas.

L’hérédité des charges fut une des institutions les plus solides de l’ancien régime. Les rois essayèrent plusieurs fois de la supprimer, ils y échouèrent ; il fallut la révolution française pour l’abolir.

  1. Forbonnais, Recherches sur les finances, à l’année 1621.
  2. Richelieu, Testament politique, première partie, chap. IV.