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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/60

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Saint-Quentin, mais ne peuvent s’aventurer si loin de leur base d’opération. Il ne restait plus à l’état-major de la place qu’à confesser son impuissance ; le 15 au soir, un parlementaire sortait de la ville ; à onze heures, la capitulation était signée ; le lendemain à midi, musique en tête, 20,000 Allemands commandés, par le duc de Mecklembourg entraient dans la ville conquise en poussant des hurrahs et en entonnant des chants de victoire.

Aux termes de la capitulation, les soldats de ligne étaient prisonniers ; leurs officiers et les officiers de mobiles étaient libres, à la condition de signer l’engagement écrit de ne plus servir contre l’Allemagne pendant toute la durée de la guerre ; la convention accordait aux mobiles de l’arrondissement de Soissons la faculté de rentrer dans leurs foyers, mais se taisait sur le sort des autres, et l’on ne sait sur quelle autorité se fondait le commandant du bataillon de Vervins quand il déclara, en manière d’adieu à ses hommes, qu’ils allaient être conduits sous escorte hors des lignes allemandes, et de là renvoyés chez eux. Toujours est-il qu’en compagnie des soldats de ligne et des mobiles du Nord ils prenaient, à cinq heures du soir, la route de Château-Thierry, c’est-à-dire d’Allemagne, 3,000 français environ étaient escortés par 800 Allemands. A huit heures, on venait de s’engager dans le bois d’Hartennes, quand des coups de feu partent à la tête de la colonne. C’est alors une confusion générale : 2,000 prisonniers s’enfuient à travers bois. Les Allemands, qui marchaient en tête ou sur les flancs, tirent, crient, gesticulent, piétinent de fureur, hésitant entre la garde de ceux qu’ils tiennent encore et la poursuite des fuyards, qui se dispersent dans les taillis. A l’arrière-garde, prisonniers et gardiens, qui ne savent d’où vient le tumulte, se sont jetés à terre, les uns sur les autres, dans les fossés qui se comblent. « J’avais pour ma part, nous contait un de nos amis, un gros landwehrien sur le corps, il tremblait de tous ses membres, il croyait que nous étions délivrés et me caressait la tête en me disant : bon Français, bon Français ! mais quand ses camarades et lui se furent relevés sur l’ordre des officiers, et qu’ils se retrouvèrent à peu près un contre un, eux armés et nous sans armes, Il me donna les plus furieux coups de crosse que j’aie reçus sur le chemin de l’Allemagne. » Quand les Allemands se décidèrent à poursuivre leur chemin, ils avaient perdu les deux tiers de leur convoi. On ne sait d’où partit cette fusillade nocturne : on a dit que des francs-tireurs cachés dans le bois avaient tiré sur l’escorte des prisonniers pour faciliter leur évasion. Cette supposition n’est guère vraisemblable, car aucun franc-tireur n’a revendiqué cet exploit. Il est à peu près certain que des soldats de ligne qui marchaient, en tête se sont jetés, à la faveur de la nuit, sur leurs gardiens, en ont désarmé