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Page:Revue des Deux Mondes - 1871 - tome 95.djvu/620

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jusqu’au ministère Polignac sous la restauration, en faisaient un homme hors de pair et hors de page ; mais outre que son esprit avait toujours été court, étroit, un peu vulgaire, il avait vieilli. Il vivait au milieu d’un nuage d’encens que toutes les oppositions successives lui avaient, à leur tour, brûlé sous le nez, et tout à la disposition de la gent tapageuse et criarde des avocats et des légistes, dont chaque clique mettait à son tour la main sur lui. Rien ne pouvait être plus fâcheux, surtout en temps de révolution, que de voir le ministère qui devait être la pièce de résistance, la maîtresse ancre du navire, tombé dans des mains séniles et débiles, et livré à tout venant. — Si M. Dupont demeure quelques mois où il est, dis-je à mon interlocuteur, attendez-vous à voir ce personnel de la magistrature, qu’on n’a sauvé qu’à grand’peine dans la révision de la charte, empoisonné de choix détestables, vu le nombre et la diversité des vacances : plus de rigoureuses conditions, plus de temps d’arrêt dans les tribunaux ; attendez-vous en outre à voir le conseil des ministres percé à jour, et tout ce qui s’y dira ou s’y fera courir les rues et les estaminets de la basoche.

« — Que faire donc ? me dit le roi.

« — S’en défaire, répondis-je, et le plus tôt possible ; mais pour cela il faut guetter le moment : notre homme a cela de bon qu’il met son point d’honneur à faire fi du pouvoir et des avantages qui en dépendent, à se poser en Cincinnatus. Il vous offrira sa démission trois ou quatre fois la semaine ; le tout est de bien choisir l’occasion et de lui trouver un bon successeur.

« — J’y penserai, dit le roi. — Nous hasardâmes quelques noms, mais sans nous arrêter à tel ou tel. Rien ne pressait d’ailleurs, le roi avait du temps devant lui pour s’enquérir et voir venir ; cela même était indispensable en tout cas. Je me bornai à recommander de choisir plutôt dans la chambre des pairs qu’ailleurs ; c’était là que se trouvaient les hommes considérables et les magistrats éprouvés dans nos luttes de quinze années.

« Mais là n’était pas la difficulté la plus sérieuse et la plus pressante. Le département des cultes et de l’instruction publique était tombé par contre-coup aux mains de M. Bignon en échange de celui des affaires étrangères, qu’il s’était adjugé tout d’abord en sa qualité d’agent diplomatique sous le premier empire et d’historien de la politique impériale. Tout le monde avait compris qu’à ce double titre il serait la bête noire des cours et des légations étrangères, M. Dupont de l’Eure lui-même s’était prêté à négocier cet échange ; mais, à vrai dire, le personnage était bien plus dangereux et bien plus immédiatement dangereux dans son nouveau poste.

« Il ne fallait pas en effet se faire illusion. Le clergé, le clergé catholique tout entier et comme un seul homme, allait devenir